La double énonciation désigne, dans le texte théâtral, l’adresse interne à la fiction (le personnage interprété par l’acteur s’adresse à un ou des personnages) et l’adresse externe, simultanée et implicite (l’acteur interprète du personnage adresse les paroles du personnage au spectateur). Dans la dramaturgie classique, l’écriture joue fortement de cette double énonciation dans les scènes d’exposition, pour apporter au spectateur les informations nécessaires sur la situation. Faire prendre conscience de cette double énonciation est indispensable pour les travaux d’écriture et pour la mise en voix et en jeu. (...)
Il est nécessaire de faire distinguer l’auteur, l’acteur et le personnage, notions faussement évidentes. Cela en rappelant que : l’auteur est celui qui a écrit l’ensemble du texte et disparaît derrière les personnages et les interprètes par le prisme de la voix didascalique ; l’acteur, celui qui joue et se fait oublier derrière le personnage ; le personnage, un être de fiction ; le narrateur ou récitant, un acteur qui raconte l’histoire des personnages. L’acteur est aussi un être de fiction dans le texte et il est nécessaire de passer par la différence entre régie et fiction (cf. Jansen) pour se sortir (...)
Comment ? Le théâtre, ça se lit aussi ! Mais différemment, pourrait-on ajouter, quand il s’agit de « lire » en classe. La spécificité du texte théâtral est d’être écrit pour la voix. Comme la poésie, son sens est dans la matière même du langage, dans l’agencement de ses formes. L’approche dramaturgique proposée ici amène donc l’élève à aller au-delà du sens littéral immédiatement perçu, par l’une ou l’autre des méthodes suivantes : • le repérage des formes dramatiques et des faits de langue qui peuvent éclairer le texte, permettant d’aborder des points au programme en matière de vocabulaire, de grammaire. Dans ce (...)
Paratexte = épitexte (interviews, entretiens, avant-textes de travail avec les comédiens…) + péritexte (dédicace, préface/postface de l’auteur, signature, nom d’auteur, première et quatrième de couverture, table des matières, sous-titre, liste de personnages absente/présente, onomastique, épigraphe, notes de bas de page, titre et sous-titre…), rapport texte didascalique/texte dialogué (de l’épure dialoguée au débordement didascalique), nature et fonctionnement du texte didascalique (de régie/fiction ; (...)
La distinction entre le dialogue (paroles des personnages adressées aux autres personnages et entendues des spectateurs), et didascalies (texte de l’auteur adressé aux metteurs en scène, acteur, scénographe, non entendu des spectateurs) est essentielle pour les élèves. Mais, les didascalies ne peuvent pas être réduites à des indications scéniques de lieu ou de jeu qui autoriseraient le lecteur à les sauter. Dans le texte théâtral contemporain, elles tendent à se raréfier dans le corps du dialogue et à perdre leur rôle fonctionnel par rapport à la scène, mais elles prennent parfois un rôle important dans (...)
Le texte théâtral crée pour tout lecteur un espace de la fiction et un espace théâtral. Les didascalies de lieu définissent l’un ou / et l’autre : il est alors bon de les faire distinguer aux élèves. L’espace mental que fait naître la lecture est le plus souvent l’espace de la fiction, imaginé sous forme de lieux intérieurs ou de paysages réalistes (parfois fantastiques) à la manière d’images filmées. Or la parole théâtrale ne s’inscrit pas dans un espace réaliste mais dans l’espace limité et fermé du plateau. Au théâtre, même le décor le plus réaliste est codé, représentant non seulement le lieu où se déroule (...)
Le texte de théâtre jeunesse multiplie souvent les espaces et par ses liens proches ou lointains avec la structure du conte, il déplace ses personnages dans de vastes paysages réels ou imaginaires. Le temps, lui, n’est pas toujours linéaire et souvent l’un et l’autre ne sont pas mentionnés explicitement. Il est parfois important, pour mieux comprendre le texte, de clarifier la façon dont l’auteur joue avec l’espace-temps. Il est toujours intéressant d’aborder les moyens par lesquels la représentation pourra exprimer ces changements de temps et (...)
Fonctionnement de l’écriture théâtrale contemporaine qui repose sur le montage* d’éléments disjoints ou de natures différentes et non sur une structure linéaire homogène traditionnelle (en référence au « bel animal » d’Aristote). Favorise l’éclatement du point de vue et les vides, le mélange des genres.
On a choisi ici le terme mise en jeu plutôt que celui de mise en scène – bien que ce terme ne soit pas à proscrire avec les élèves, lorsqu’on aborde la question de la représentation d’un texte lu ou vu – pour marquer la distance pédagogique à prendre avec l’idée d’une mise en scène imitant au rabais, les professionnels : les fameux décor en carton ou les incontournables costumes en doublure ou papier crépon qui occupent vainement toute l’énergie, les derniers jours. Puisque dans le cadre scolaire, la mise en jeu doit faire participer tous les élèves, elle nécessite des formes différentes pour la mise en (...)
La mise en voix est une activité artistique qui se rapproche de la « lecture publique ». Elle s’adresse à des spectateurs réels ou virtuels à qui il s’agit de transmettre le texte, de le « faire passer ». C’est la traduction des découvertes de l’explication du texte. Elle reprend toutes les caractéristiques de l’oralisation (sauf la nomination des noms avant chaque réplique, ce qui nécessite d’indiquer au spectateur quel personnage est lu). Mais s’y ajoute un élément capital : la prise en compte du spectateur, par un travail d’adresse et de regard et une explicitation du sens, que l’on aura découvert (...)
Ces répartitions du texte qui cassent l’habituelle représentation en prenant en charge collectivement les personnages, conduisent à ce que tous soient en permanence « sur scène ».
Les acteurs / lecteurs en attente seront à vue, en regard, partageant le travail de leurs camarades en jeu, attentifs à la part d’histoire qu’ils sont en train de raconter. On pourrait faire la comparaison avec les remplaçants sur le banc de touche en football. L’idéal serait qu’ils vivent « la partie », qu’ils en soient les « assistants » au double sens de ceux qui regardent et soutiennent, et de ceux qui aident ponctuellement (...)
Elle conjugue deux objectifs contradictoires mais riches de réflexion dans la classe : faire intervenir tous les élèves, mais sans obscurcir le texte, ni casser l’écriture. Suivant le temps dont on dispose, celle-ci sera faite par l’enseignant ou les élèves ; confier, au moins une fois, ce travail aux élèves organisés par petits groupes s’avérera pédagogiquement très riche. Pendant la recherche, ils seront amenés à approfondir le sens, repérer les changements de situation dans une scène, mais aussi à prendre en compte les formes de l’écriture, ses rythmes, les changements d’adresses etc.
Elle se fera (...)
Les relais d’acteurs ne doivent pas égarer le spectateur. Pour cela de multiples signes sont possibles (pas toujours indispensables). Quelques-uns parmi d’autres : la base : un élément de costume ou accessoire porté par tous les interprètes, qui sera le signe du personnage. le passage de cet élément à l’autre acteur / lecteur. la reprise d’une phrase et/ou d’un geste la présence anticipée du deuxième interprète derrière le premier mais visible, comme si c’était le double du personnage. Variante : avec l’appui du chœur à proximité.
Toutes ces formes de relais devraient se faire le plus légèrement possible (...)
L’oralisation n’est ni la lecture à voix haute ni la mise en voix à visée artistique. C’est une activité plus proche de ce que les comédiens appellent « lecture à la table » et qu’ils pratiquent collectivement. elle intervient comme première découverte du texte ; elle cherche à pénétrer la matière de la langue, en l’exhibant, la travaillant, la mettant en bouche pour accéder au sens sans rechercher l’expressivité, qui risque de plaquer des idées fausses ou univoques. L’essentiel est de faire résonner les mots, les proférer, leur donner du corps ; elle ne se soucie pas de l’équivalence entre le nombre des (...)
Théâtre mettant en abyme le phénomène théâtre (théâtre dans le théâtre), la théâtralité (jeu dans le jeu) ou proposant une réflexion sur le théâtre en général ou la propre dramaturgie de l’écrivain (sorte d’art théâtral en action, comme on dit « art poétique »). Cela s’inscrit dans la fonction métalinguistique, métatextuelle de la littérature et de la langue mais à un niveau plus structurel. Cette forme de théâtralité a connu un grand développement au XXème siècle, avec tous les risques de vacuité que n’évite pas toujours une (...)
La première cherche à faire fonctionner la scène comme un lieu clos par un quatrième mur et reposant sur l’imitation du réel. La seconde s’éloigne du réel et le figure par des voies détournées, métaphoriques, mettant en avant tous les outils de la théâtralité scénique. Celle-ci permettra de travailler le symbolique et l’artistique. La troisième permet d’observer le phénomène de l’épicisation (cf. M. Bernanoce, Écrire et mettre en espace le théâtre).
La distinction monologue / dialogue est aisément perçue par les élèves. Par contre, il est important qu’ils distinguent ses différentes variations et les effets de sens qu’elles induisent : monologue adressé explicitement aux spectateurs et rompant le quatrième mur ; monologue du personnage à lui-même (soliloque) à rapprocher du monologue intérieur et dont l’adresse aux spectateurs est implicite. En revanche, il est à noter que la « mode » du monologue concerne moins le théâtre jeunesse que le théâtre « généraliste (...)
Si la liste des personnages est parfois absente du texte contemporain, si même ils n’ont parfois plus de nom, le théâtre jeunesse les maintient souvent. Étudier les dénominations choisies par l’auteur, le fait de les définir ou non et par quels éléments, est une première entrée dans le texte, susceptible par ailleurs de créer un horizon d’attente et un imaginaire de fiction ou de régie.
Aujourd’hui, si le dialogue demeure majoritaire dans le théâtre jeunesse, les formes de théâtre-récit ou le mélange des deux, sont fréquents. On entend alors : « ce n’est pas du théâtre ! », comme si la théâtralité était dans le dialogue, alors qu’elle est plutôt, quelle que soit la forme du texte, dans les potentiels d’oralisation de la langue. À ne pas confondre avec le français parlé et l’oral. L’oralité de la langue théâtrale est une réinvention de la langue, propre à chaque écrivain, qui vise à lui donner une présence sur la scène, par un travail particulier du rythme, des sonorités, d’échos d’une réplique à (...)
Michel Vinaver nomme ainsi d’une part les pièces de type classique, reposant sur une intrigue linéaire, dans un rapport de causalité, et dont la parole est instrument de l’action, et celles, plus fragmentées, qui progressent de façon sinueuse, par reptations et bonds successifs telles qu’on en trouve souvent dans le répertoire contemporain, où la parole n’est pas instrument de l’action et remettant en cause toute causalité.
Mur imaginaire qui sépare le public de la scène, contribuant à l’illusion d‘une réalité de la fiction. Rompre le quatrième mur en s’adressant explicitement aux spectateurs peut être dans le théâtre pour enfants le simple fait du narrateur qui introduit l’histoire, accompagne les enfants dans le spectacle. Plus généralement, cette rupture est une interpellation plus ou moins forte du spectateur pour appeler son attention, le faire réagir, ou créer une complicité avec un personnage particulier de la fiction. Cette notion est apparue au XVIIIème siècle alors que la mise en scène n’intervient qu’un siècle plus (...)
Si le texte théâtral jeunesse est rarement épique dans son ensemble (on peut relever des exemples inverses comme Le Manuscrit des chiens de Jon Fosse ou Les Trois Jours de la queue du dragon de Jacques Rebotier), il joue souvent avec les procédés de l’épique, c’est-à-dire du récit. Aujourd’hui, la différence brechtienne dramatique / épique ne tient plus pour ce qui est de la réaction du lecteur/spectateur, tant les mélanges épiques/dramatiques sont devenus la loi dans la plupart des mises en scène et des écritures. La distance / distanciation est aujourd’hui créée par l’hybridité dramatique/épique. Épique (...)