Roméo et Juliette ont une destinée particulière. Ils font partie de ces quelques élus, parmi les personnages de fiction, dont la postérité ne dépend plus de celle de leur créateur. Ni même du théâtre : à l’état de mythes, d’« étoiles filantes » comme dit le prologue de la pièce, et plus qu’aucun autre couple historique ou légendaire, plus qu’aucune romance, ils illuminent, au ciel des idées, celle de l’amour absolu.
C’est pourtant leur inscription dans la chair, dans le langage d’une époque, qui a rendu possibles ce détachement et cette éternité. Car les amants de Vérone ne sont pas que l’image d’une passion, ils sont aussi la raison d’une nouvelle civilisation : celle issue d’un long processus, de l’amour courtois à l’humanisme de la Renaissance, où la loi des pères est bafouée par la sublimation de l’aimé(e). La pièce de Shakespeare est un creuset bouillonnant de paroles et de corps chauffés à blanc, où la guerre n’est pas qu’entre les Capulet et les Montaigu, mais d’abord entre le discours de l’arbitraire et la révolution des sentiments. À travers le langage des amants, jusque dans son maniérisme, le désir de l’un ne peut plus désormais se formuler hors du respect pour le désir de l’autre.
Cette nouvelle traduction a été établie pour la mise en scène de David Bobee qui veut représenter cette fournaise et réaliser ainsi cette volonté du dramaturge de voir s’affronter, dans le clos d’une société de superbe architecture et d’idéologie sclérosée, le fanatisme de la mort et la liberté du désir.
Après Hamlet, recommence alors pour le traducteur Pascal Collin, rejoint par Antoine Collin, le même défi : faire resurgir l’actualité, non pas de Roméo et Juliette au XVIe siècle à Vérone, mais de la brûlante contradiction entre leur existence et l’ordre du monde.