L’histoire racontée ici interroge notre représentation de la famille classique. D’entrée de jeu, il n’y a pas un papa et une maman avec leurs enfants, mais une baby-sitter qui les remplace. Le premier élément qui peut être abordé avec les élèves est la notion de séparation. Dans l’inconscient collectif le « couple » est uni et vit sous le même toit. Cette donnée est faussée d’entrée dans le texte d’Antonio Carmona : non seulement les parents ne sont plus ensemble mais ils ont également quitté le domicile et leurs deux filles.
Une première discussion avec la classe sur la notion de séparation, de divorce, de famille monoparentale peut être lancée. Elle peut s’enchaîner ensuite sur la question de la structure parentale, très vite abordée dans la pièce, à travers la réplique de Garance p. 15, qui cite les propos de la voisine : « Alors avec les filles pas trop dur […] juste la carte bleue ». La liste énoncée des organismes sociaux et l’enchaînement de questions, qui traduit l’angoisse de cette femme, indiquent que les préjugés et les rumeurs vont bon train dès que la structure classique est ébranlée. Cela peut être l’occasion d’aborder les représentations classiques de la structure familiale avec la classe, notamment grâce à la réplique de Lola p. 23, qui met en avant les stéréotypes de genre et le fait que les mamans agissent d’une certaine manière et les papas d’une autre : « Alors pourquoi c’est pas maman […] mettraient des claques les papas ? ». Cette réplique peut être le lieu d’un débat sur ce que fait habituellement un papa/une maman, un homme/une femme, voire élargir à la question des « parents » dans un rapport au monde non hétéronormé.
Dans ce contexte, le personnage de Garance devient un point de repère inédit et fiable. Inédit car ce n’est pas la représentation de la femme au foyer, seule, classique. Fiable car elle apparaît à plusieurs reprises comme la seule adulte de confiance : tout d’abord dans sa réplique p. 39 « Elles, on ne les abandonne pas ! », puis p. 49 lors de l’échange avec Lola : « Donc toi, tu pars. […] Reviens-Toujours moi ça me va. » ou encore dans la bouche de Lola p. 45 : « Moi je n’ai pas pleuré, je savais qu’elle allait revenir. ».
Cet endroit de confiance en l’adulte est un pont pour aborder avec les élèves les lieux et les personnes avec lesquelles ils se sentent en sécurité et écoutés, et partager l’idée que cela peut se faire en dehors du cercle familial. C’est une construction d’autres points de repère.
Le lien avec la figure maternelle peut néanmoins être établi lors de la lecture de la p. 44 en demandant aux élèves leur avis sur les neuf bisous que Garance fait aux filles et en faisant le parallèle avec les neuf mois d’une grossesse.
On parle souvent de « fraternité », c’est un mot, un repère important que l‘on retrouve notamment dans la devise de la République française. Néanmoins, depuis quelques années, l’usage du mot « sororité » grandit, lui offrant ainsi une plus grande visibilité et facilitant son utilisation.
La présence de deux sœurs permet de discuter ce vocabulaire et permet d’interroger la règle du masculin qui l’emporte en grammaire, qui a bougé au fil du temps, et de l’évolution de la langue ces dernières années (écriture inclusive, féminisation, etc.). À travers les thèmes qu’il aborde et son vocabulaire, Carmona participe de ce mouvement.
Dans ce binôme sororal, le rapport de force est inversé et petit à petit, par le langage et par la logique, Lola prend le dessus sur sa grande sœur. Par exemple, dans la scène d’ouverture : du début de la p. 7 à l’apparition de Garance p. 10, c’est l’aînée, Prune, qui mène la danse puis qui se fait piéger par le problème que lui pose Lola. Ce rapport de force est de nouveau abordé p. 34 lorsque Prune souligne l’intelligence de sa sœur et finit par s’endormir la première, une nouvelle fois.
Dans la séquence pp. 36-37, la question de la fraternité/sororité va plus loin puisqu’elles évoquent le petit mouton noir et les enfants uniques : nouvelle ouverture au questionnement d’une structure familiale qui peut être saisie. Ces jeux de pouvoir et ces inversions de force peuvent faire l’objet d’un travail au fil du texte, en proposant la lecture des scènes charnières de dialogue entre les deux sœurs pp. 7 à 10, 27 à 30 et 33 à 38.
Pour cette lecture, les élèves devront repérer les moments où un personnage « prend le dessus » sur l’autre, car ce sont des ressorts dramaturgiques importants pour un travail de mise en jeu et en espace par la suite.