Un texte de théâtre se suffit à lui-même, il est une œuvre à part entière avec son contenu et sa forme. Il est pourtant indissociable du plateau, et la nature d’une pièce se dessine dans le dialogue entre la scène et le papier : comment rendre compte d’un élément textuel (un changement de typographie – voir p. 40 – ou de désignation d’un personnage dans les didascalies) au plateau ? Comment le passage sur scène révèle-t-il une dimension du texte qui était passée totalement inaperçue à la lecture ?
Le travail de mise en voix d’un texte n’est pas qu’une simple lecture à voix haute. Il permet de mettre le corps en marche et d’entrer en contact avec le texte d’une manière plus sensible, ce qui a souvent pour conséquence de faire ressortir la structure et les enjeux dramaturgiques de la pièce. C’est pour cela qu’il ne doit pas être déconnecté du travail de recherche et de compréhension effectué en amont. J’évoquerai donc ici quelques procédés littéraires, non pas pour effectuer une analyse, mais pour mettre en évidence la structure du texte et faire le lien avec la mise en voix.
Nous allons de ce fait proposer des clefs pour la mise en voix du discours de Lucifer, à la lumière de ce que nous avons déjà écrit à ce sujet. Par ailleurs, puisque la mise en voix permet également d’entendre un texte, il est intéressant de comparer plusieurs extraits, afin de se faire une idée de la variété des formes que peut contenir la pièce. On choisira donc ici le monologue de Gabriel (p. 44-46), que l’on pourra confronter directement au discours de Lucifer, ainsi que la toute dernière scène de la pièce (p. 57-58), qui tranche avec les deux autres extraits puisqu’elle consiste en un dialogue théâtral plus classique.
Il peut être utile de réaliser plusieurs étapes de lecture. La première peut se réaliser en classe entière. Les élèves lisent une des scènes à voix haute, une phrase chacun·e. Cela leur permet de se familiariser avec le texte, de poser des questions si quelque chose n’est pas clair dans le vocabulaire. Si cette première lecture permet, en s’arrêtant à chaque phrase, une compréhension mot à mot de la scène, elle ne permet pas d’en comprendre les mouvements généraux. Il faut alors s’embarquer pour quelques lignes. Le découpage ci-dessous permet une distribution assez libre, notamment sur le nombre de lecteur·rices.
Suite à cette deuxième lecture, les élèves peuvent être interrogé∙es sur ce qu’iels entendent. S’iels remarquent des différences de ton entre les différents extraits, s’iels remarquent les anaphores, les répétitions, les mots qui les amusent, si telle phrase est compliquée à dire parce qu’elle est longue, etc. Les impressions concrètes sont souvent justes.
Dans le monologue de Lucifer, par exemple, les premières phrases sont assez courtes, du fait probablement de sa timidité, et de la difficulté de parler en public. Au fur et à mesure, sa parole se délie jusqu’à la longue succession d’hypothèses qui compose toute la deuxième partie du discours. Le rythme du texte suit celui de l’émotion du personnage.
Gabriel, quant à lui, fait une véritable prière. L’utilisation des capitales montre son emportement mystique, tout comme les retours à la ligne incessants, sans signe de ponctuation, qui marquent un phrasé proche de la psalmodie.
Dans la scène finale, les phrases sont plus courtes et souples, comme dans une discussion entre ami∙es.