L’écriture théâtrale n’est pas toujours bien connue des adultes, et des enfants, par ricochet, peut-être encore moins. Pour se plonger dans le texte, il est probablement utile de donner à la classe quelques codes de l’écriture théâtrale et du lexique qui l’accompagne (didascalies, répliques, monologue, dialogue, etc.) et de lire avec les élèves un extrait de la première scène afin de les mettre sur les rails (depuis le début p. 7 à « LUCIFER.- […] Rire de la classe. » p. 9).
On peut demander aux élèves de chercher les répliques et les didascalies. Par quoi l’extrait commence-t-il ? Quelle information nous donne la didascalie qui ouvre cet extrait ? Pour répondre à cette question, les élèves peuvent parler de leur expérience personnelle (que font-iels en cour de récréation ? quelle est l’ambiance de cet endroit ? calme, agitée, bruyante, amusante, etc. ?). Que peuvent-iels donc en déduire du contexte de la scène ? Ces questions peuvent faire l’objet d’une rédaction de quelques lignes de la part des élèves. Ce point est important pour le jeu théâtral, parce qu’on ne parle pas de la même manière en récréation avec ses ami∙es qu’en classe, assis∙es sur une chaise. Les interrogations seront les mêmes pour toutes les autres scènes, peu importe le lieu.
Les élèves peuvent lire cet extrait dans leur tête. Après cette première lecture, on peut leur demander ce qu’iels ont compris de la scène (de quoi est-il question ? que se passe-t-il ?), mais également leurs impressions sur celle-ci (que pensent-iels des personnages ? de la situation ? est-ce bien ? pas bien ? méchant ? terrible ? rigolo ?), de même que leurs impressions sur la façon dont le texte est écrit (c’est étrange ? est-ce que ça ressemble ou non à leur manière de parler, etc.). Il n’y a pas de mauvaise réponse : cette première impression est un effet du texte, et elle est un point de départ à la réflexion et guide le passage au plateau.
Les élèves peuvent en effet noter une différence entre les répliques de Gabriel et celles de Lucifer. Celles du premier, plus classiques, sont écrites au discours direct : Gabriel s’adresse directement à Lucifer. Mis à part quelques exceptions, les paroles de ce dernier sont, au contraire, comme un monologue intérieur au sein duquel Lucifer raconte ce qui lui arrive, décrit la situation et les sentiments que cela provoque en lui.
Cette différence est riche en informations sur les personnages. Il y a d’une part un garçon qui parle en public, qui, comme on peut le voir dans la première scène avec Madame Mademoiselle (p. 11-17), maîtrise d’emblée les codes de la communication, use de son aisance à prendre la parole pour harceler celui qui ; et d’autre part, il y a une victime, qui n’arrive pas à parler, ne communique pas avec les autres et en est réduit, dans sa solitude, à ne parler qu’à lui-même. L’auteur utilise ici un des principes caractéristiques du théâtre, celui de la double énonciation, qui permet au public d’accéder aux pensées d’un personnage, comme dans les monologues du théâtre classique (« Être ou ne pas être » d’Hamlet, pour ne citer que le plus célèbre) : Lucifer est tellement seul, d’un point de vue métaphorique, et sa manière de parler est tellement éloignée de celle des autres personnages, que ses répliques s’apparentent à des monologues. Le personnage de Gabriel se retrouve également seul lors de deux scènes qui permettent d’en savoir plus sur lui. Lors d’un véritable monologue (p. 44-46), on prend la mesure de l’espèce de fanatisme qui l’habite et de tout le mal qu’il souhaite à Lucifer, mais c’est dans une scène précédente (p. 24-27) que sa personnalité se dessine de manière plus complexe. Cette scène n’est en apparence pas un monologue, puisqu’il s’agit d’un dialogue entre Gabriel et ses parents, mais le premier est bien le seul à parler puisqu’il manipule les marionnettes de ces derniers (Poupée Maman et Poupée Papa). En jouant ainsi sa situation familiale (réelle ? fantasmée ? sans doute entre les deux), il se livre. On devine alors l’absence de ses parents et le manque d’amour : il a beaucoup souffert Gabriel. Le titre prend en effet une autre signification : si Lucifer (le personnage biblique) est un ange (les parents de Gabriel l’appellent « mon ange », et son nom n’est pas anodin) déchu qui se met à faire souffrir les autres, ce sobriquet, comme le dit Madame Mademoiselle, peut tout à fait convenir à Gabriel. Celle-ci, justement, semble également souffrir d’un manque d’amour parental, qu’elle déclare être le moteur de sa recherche de gloire (cf. : « Mon père sera enfin forcé de me regarder […] », p. 39), quitte à rabaisser les gens qui l’entourent, Lucifer en premier lieu.
Il peut être intéressant d’interroger les élèves au sujet de l’origine du harcèlement : pourquoi fait-on souffrir quelqu’un ? La souffrance subie par Madame Mademoiselle ou Gabriel suffit-elle à justifier le harcèlement ? Ou peut-on, comme Mamie qui souffre d’avoir perdu son fils, ne pas faire subir à son tour ?