L’alternance entre les niveaux de jeu se manifeste aussi dans la langue. L’autrice s’amuse en effet à varier les styles. Cette question de la langue peut parfois être difficile à aborder pour les élèves, or elle est souvent un outil majeur pour le jeu : on ne joue pas de la même façon une tragédie classique en alexandrins et un vaudeville en prose. Le sujet importe, bien sûr, les situations aussi, mais le rythme de la phrase, la ponctuation, le type de mots utilisés sont également des appuis indéniables. Il est donc important d’interroger les élèves sur le style.
Regardons de plus près les répliques qui relèvent du récit :
– Que peut-on dire sur la manière dont le texte est écrit ? Retours à la ligne, ponctuation quasi-absente, noms communs utilisés comme verbes (cf p. 12 : « qui nous communauté »), anaphores (« au début » ou « quand » dans la première scène de la première partie, par exemple), l’imparfait, des jeux de rythmes (comme l’alternance de la longueur des répliques), etc.
– À quoi cela fait-il penser ? De la poésie, des contes, du théâtre classique, du rap, etc.
– Quelles images cette écriture convoque-t-elle ? Il n’y a pas ici de mauvaise réponse, tout le monde a son imaginaire propre, connecté à sa propre sensibilité. On peut imaginer répondre donc : “quand dans un film quelqu’un raconte une histoire avec une voix mystérieuse”, par exemple.
Il peut être intéressant de noter que ces répliques narratives, très écrites, apparaissent dans la première partie, intitulée « CROI (ce qu’on nous donne) ». Ce qu’on donne à ces enfants, ce ne sont pas seulement des histoires qui reprennent des éléments du monde des adultes, comme on l’a vu précédemment, mais aussi une façon de raconter ces histoires qui reprend des codes plus classiques de la narration.
On l’a vu cependant, ces moments de récits ne sont qu’une partie du texte de l’autrice. Par bien d’autres aspects, ce dernier tend également vers ce qu’on peut attendre d’un texte théâtral plus classique, composé de répliques qui figurent le dialogue de deux enfants.
Le même exercice que dans « Un récit classique... » peut être effectué sur ces répliques-ci, en portant l’attention sur le lexique du texte théâtral (tirades, monologues, oralité de la langue, etc.). Il peut être intéressant d’interroger la notion de didascalie. On résume souvent ces indications aux quelques mots en italique écrits juste après le nom du personnage qui va parler. Cependant, on peut qualifier de didascalique toute information présente sur la page, de quelque manière que ce soit, qui peut servir d’appui de jeu pour dire le texte. On peut regarder ainsi les traits horizontaux qui séparent à certains endroits la scène 2 de la première partie (pp. 16-38) en différents épisodes qui rythment cette longue scène.
Ce peut être l’occasion d’évoquer les cinq scènes appelées “Récréation” (pp. 15, 43, 56, 70 et 76). Moments de pause dans le déroulé de la pièce, ces scènes marquent également des respirations en ce qui concerne le style puisqu’elles présentent des dialogues dont la langue est au plus proche d’un dialogue réaliste entre enfants. L’effort de projection, d’imagination semble moins important ici que dans le reste du texte.
On l’a vu précédemment, les deux pôles entre lesquels navigue le texte de Sandrine Roche ne sont pas hermétiques, ils communiquent. Petit à petit, au travers de la pièce, les dialogues sont bousculés par la narration qui est elle-même changée par les dialogues.
Ce processus est évidemment marqué par l’arrivée, dans la partie finale, de la Lérotte, qui provoque une véritable révolution dans la langue. Elle crée des mots, des tournures de phrase, bouleverse complètement la grammaire, le lexique, et même la mise en page (dans sa réplique, p. 58, le corps varie).
L’histoire que Zelda et Jozef s’apprêtent à écrire est imprégnée de cette libération. Iels vont non seulement raconter d’autres choses que ce qu’on a pu raconter jusqu’à présent, nous, les adultes, mais également le raconter autrement, avec une autre langue faite d’autres mots. Ce n’est pas une langue appauvrie, mais au contraire, extrêmement riche, foisonnante et joyeuse, qui nous emporte avec elle et nous invite à la suivre.
De ce fait, on peut imaginer proposer aux élèves d’écrire la suite de l’histoire que Zelda commence dans la dernière scène, en jouant avec les mots, les sonorités, les formules, en explorant des images nouvelles et variées, bref, en prenant le pas de Zelda et de Jozef.