Avant de plonger dans la pièce, il peut être intéressant de s’arrêter sur ce qui l’entoure. Cela permet d’avoir une première idée de ce dont il est question. Arrêtons-nous donc sur la couverture du livre : son analyse peut être l’occasion d’une discussion en classe. On peut imaginer interroger les élèves sur le titre, ce qu’il peut indiquer au sujet de la pièce (de quoi, de qui est-il question ? Comment ? etc.)
Voici quelques pistes de réflexion :
– Croisade : guerre sainte, menée au nom d’une croyance. L’idée que les personnages de cette pièce devront se battre pour ou contre quelque chose.
– Jozef et Zelda : le sous-titre de la pièce est composé de deux noms. Ce sont donc probablement les personnages principaux. Qu’évoquent ces deux noms ? Jozef a une connotation biblique, Zelda est surtout connue aujourd’hui pour être la princesse d’un jeu vidéo éponyme.
– Z : l’omniprésente de cette lettre dans la page n’est pas anodine. Elle se retrouve dans les deux prénoms, et évidemment dans le titre qu’elle vient couper en deux comme un éclair, en en bousculant l’orthographe. Cela forme deux autres mots incomplets : “croi” (qui accentue l’idée de croyance, ou devient une onomatopée qui évoque un croassement) et “ades” (qui fait penser à Hadès, dieu des Enfers), tout en faisant apparaître en filigrane, le lieu de contestation politique qu’est la ZAD.
Il y a donc, dès la couverture de ce livre, l’évocation de récits, historiques ou mythologiques, au sein desquelles deux personnages vont progresser, et de jeu avec les mots, une sorte de zozotement qui vient tout renverser. Ce travail d’analyse, seulement à partir du titre, peut se prolonger avec une étude de la quatrième de couverture.
CroiZades, c’est donc l’histoire de deux enfants, Jozef et Zelda. Il convient alors de comprendre de quelle histoire il s’agit. On apprend cela dès les premières pages du texte, dans une scène intitulée “ON Y VA ?” qui fait figure d’introduction, suite à une première tirade durant laquelle le chœur explique que les deux personnages principaux sont pris dans un “récit, puisque c’est écrit” (p. 9) et que Jozef “raconte la réalité” mais qu’il veut la “torpiller” (p. 11). Dès cette scène d’ouverture, la question de la narration est très présente. De fait, c’est le jeu auquel vont jouer Jozef et Zelda durant toute la pièce : raconter des histoires.
Iels commencent dès le début de la première scène de la première grande partie, « (CROI ce qu’on nous donne) ». Zelda, dans sa première réplique (p. 12), propose l’incipit d’une histoire. Elle fait appel à des images poétiques qui évoquent le genre du conte, voire le tohubohu du récit de la Genèse, ce chaos précédant l’existence de notre monde (« locution biblique qui signifie solitude et désert, et exprime le chaos », selon le dictionnaire Larousse). Iels en raconte plusieurs tout au long de cette partie
Exercices : dans les scènes suivantes, iels étoffent ces histoires. Il peut être intéressant de demander aux élèves de relever les différents éléments de cette histoire qui se construit pendant toute cette première partie (par exemple : ”LES GROSSES MACHINES” (p. 19), ”DES FORCES EN PRÉSENCE” (p. 29), ”les lumières aveuglantes” (p. 30), etc. Ceux-ci, très imagés, peuvent faire l’objet d’un travail plastique par les élèves, soit un dessin, soit un montage photo, ou une proposition sonore (on trouve aisément des banques de sons en ligne) qui pourrait être diffusée dans une potentielle mise en lecture ou en espace avec les élèves.
Zelda et Jozef expriment plusieurs fois leur désapprobation vis-à-vis des histoires qu’iels racontent ici : “c’est dégueulasse” (p. 42), “commence pas avec tes trucs sexistes” (p. 49), etc. Il peut être intéressant d’interroger les élèves sur les mondes que décrivent ces deux personnages, et sur les raisons pour lesquelles ces mondes sont décriés (l’héritage sexiste ici notamment), à mettre en relation avec le titre de cette première partie. Ce peut être l’occasion d’évoquer le propos antisexiste et anticapitaliste de l’autrice, une première manière d’aborder les notions suivantes : auteur, acteur, personnage, narrateur ou récitant, locuteur sur lesquelles nous reviendrons plus tard.
Déçu·es par ces début mornes, qui ne mènent à rien de très joyeux, Zelda et Jozef veulent raconter d’autres histoires. C’est tout l’objet de la scène 6 de la première partie (p. 49-50), il leur faut quelqu’un pour sauver leurs histoires.
Le texte bascule à la page 51 avec la partie Z. Comme la lettre avait fait basculer le titre, ce court échange fait basculer la pièce. Avec un déluge de gros mots, Jozef « prie pour l’arrivée du vrai Héros-prophète-Dieu-Lucifer » (p. 52). Dès la scène suivante, la première de la deuxième grande partie – ADES (ce qu’on vous rend) – ses vœux sont exaucés : comme le raconte le chœur, un protagoniste surgit du néant : “LES LÉROTTES” (p. 55). Ce chœur de personnages inventés prend vie et vient aider les deux protagonistes à faire naître une histoire plus joyeuse. Cependant, il y a un malentendu sur le rôle que doit tenir ce personnage providentiel :
LÉROTTE. – Ça t’y nous diriez pas qu’à moi-mesme-moi vous me demandasses d’agir des actions pendant que vous vous roulâtes tranquillou tous les pouces ?
ZELDA. – Ben oui, un peu.
LÉROTTE. – Ah ben là, ça marche plus.
Comme on le voit dans ce dialogue (pp. 62-63), les deux enfants veulent que la Lérotte s’occupe d’absolument tout, ce que cette dernière refuse de faire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle devient “patraque” (p. 66) et laisse Jozef et Zelda à leur propre sort. Qu’à cela ne tienne, les deux enfants vont “sauver [leur] humanité ! Et cette fois, [iels vont] on le fai[re] tou[stes] seul[·es] !” (p. 69).
Il y a alors un basculement par rapport au début du texte. Alors qu’au départ, il s’agit de l’histoire de Jozef et Zelda, celle dont iels sont les personnages, il s’agit désormais de l’histoire de Jozef et Zelda, la leur, celle dont iels sont les auteur·rices. Parce qu’iels veulent raconter des histoires qui leur sont plus proches, ces enfants prennent les choses en main et produisent des récits qui leur appartiennent, traversés par leurs préoccupations politiques et poétiques et leur volonté de créer un monde différent de celui des adultes, triste et sombre. Grâce au jeu, Zelda et Jozef vont donc donner naissance à un univers qui renverse nos codes de représentation.
Exercice : cette exploration d’autres histoires, utopiques, peut être l’occasion de réaliser un travail d’écriture avec les élèves. Iels pourront rédiger une histoire dans laquelle se rencontrent des personnages, des lieux et des idées aussi variés que dans celles racontées par Zelda et Jozef. Les élèves peuvent piocher parmi les exemples cités dans le livre (cf p. 9), en imaginer qui leur soient propres, ou travailler à partir d’exemples choisis en classe seuls ou en groupe lors d’une discussion collective pour former un panorama, une mythologie propre à cette classe.