Quels sont vos auteurs préférés ?
Ils ont beaucoup varié tout au long de ma vie. Me reste notamment Henry Miller (qui m’a fait en son temps, j’avais alors dix-sept, dix-huit ans, découvrir et aimer pas mal d’autres auteurs avec Les Livres de ma vie. Dans ce livre, un très intéressant chapitre est intitulé « Lire aux cabinets »… Dans mes cabinets, outre un flot épais de presse quotidienne et hebdomadaire, Les Essais de Montaigne trônent)… J’ai sur ma table de nuit depuis toujours La Chasse au mérou de Georges Limbour, Chant de l’amour et de la mort du cornette Christoph Rilke de Rainer Maria Rilke, Sécheresse de Graciliano Ramos, La Merveilleuse aventure de Cabeza de Vaca de Haniel Long, préfacé par Henry Miller ; depuis plusieurs années, L’Usage du monde de Nicolas Bouvier, Le Sexe et l’Effroi et huit ou dix autres ouvrages de Pascal Quignard (je ne sais pas pourquoi, tout Quignard s’incruste et se refuse obstinément à rejoindre mes bibliothèques), Écrire de Marguerite Duras, Baleine de Paul Gadenne, Le Clavecin de Diderot de René Crevel, toute une série de jeux et mots croisés de Georges Pérec, un traité de ponctuation, Verbier… de Michel Volkovitch, Le Vieux qui lisait des romans d’amour de Luis Sepulveda, deux ouvrages de Georges Steiner, un recueil de haïkus, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier de Stig Dagerman. Je les lis et relis, pour être sûr de les avoir vraiment lus…
Ma table de nuit est accueillante, Susan Sontag qui y séjourne ces temps-ci (elle n’y est pas seule) pourrait bien y faire halte pour dix ou quinze ans… Et il reste de la place pour tant d’autres…
Vos héros / héroïnes de fiction ?
Je n’en ai pas vraiment…
Quelle musique écoutez-vous ?
Le plus souvent, ce qu’on appelle musique classique… Monteverdi, Bach, Haydn, Mozart, Beethoven, Brahms, Mahler, Tchaïkovski, Chostakovitch…
Quelle musique écoutiez-vous au moment d’écrire le texte ? Ou bien travaillez-vous dans le silence ?
J’écris dans le silence, pour que mon oreille intérieure puisse entendre sonner sans parasites le texte qui surgit de ma main devant mes yeux…
Quels sont vos peintres, plasticiens / œuvres plastiques, tableaux préférés ?
Supposant que vous ne disposez pas d’une place énorme, j’essaie de faire court : Paolo Ucello (La Bataille de San Romano, Saint-Georges et le dragon en laisse, La Légende de la profanation de l’hostie…), Vittore Carpaccio (La Légende de Sainte-Ursule, Les Récits de la Relique de la sainte-Croix, avec le petit bichon blanc de Vittore couché à l’avant d’une noire gondole, qui regarde le voyeur droit dans les yeux… Saint-Augustin dans sa cellule recevant la vision de Saint-Jérôme, avec de nouveau le bichon de Vittore, seul, en plein centre de l’espace… Les Deux dames vénitiennes, dit Les Deux courtisanes…), Giorgione (La Vieille…), Tintoret (Le Vol du corps de Saint-Marc…), Véronèse (Le Repas chez Lévi…), Titien, Giovanni Bellini, Tiepolo (Le Monde nouveau, à Ca Rezzonico…), pas Mantegna, je déteste Mantegna, Van der Weyden (Portrait de jeune homme à la Toison d’or et à la flèche, à Bruxelles…), Le Retable d’Issenheim de Mathias Grünewald, Bosch (Le Jardin des délices, bien sûr, volet Enfers…), Cranach (n’importe lequel de ses Adam et Ève), Breughel l’Ancien, Veermer (tous ses tableaux, mais d’abord La Jeune Fille au turban !) Rembrandt (tous les autoportraits !), Giorgio Morandi (toutes ses natures mortes), Chardin (La Raie !), Pietro Longhi (Le Rhinocéros…), Goya (« Les peintures noires » du Prado, par-dessus tout El Perro !…), Velasquez (Les Ménines !...), Turner (Le Chemin de fer…), Gustave Moreau, Courbet (L’Origine du monde…), Bonnard, Magritte (pas tout, mais L’Empire des lumières !), Kandinski (tout), Rothko, Francis Bacon (je prends presque tout), Nicolas de Staël (je prends tout les yeux fermés)…
Et une bonne centaine de toiles encore avec lesquelles j’entretiens des liens très étroits, et toutes les marines, et les ivoires de Dieppe, et tant de sculpteurs, tant de sculptures, et les paysages brûlés de ruines antiques d’Anne et Patrick Poirier, et l’or du Pérou, et les grès des potiers de La Borne, et le verre, les verres, et et et…
Vos films / cinéastes préférés ?
Films : la liste serait trop longue…
Cinéastes : Eisenstein, Antonioni, Kurosawa, Truffaut, Resnais, et bien d’autres dont tout de même pas mal d’Américains…
Vos acteurs / actrices préférés ?
Je n’en ai pas vraiment…
Qu’aimez-vous voir sur scène ou au cinéma ?
Je vais rarement au cinéma, assez rarement au théâtre parce que je préfère infiniment en faire, même si c’est parfois non sans douleur, et parce que j’aime trop le théâtre pour supporter d’y souffrir en tant que spectateur…
Une œuvre qui vous aurait particulièrement marqué ?
Trois : Hélène Weigel dans Mère Courage de Brecht, pour mémoire… Arlequin serviteur de deux maîtres de Goldoni, mis en scène par Giorgio Strehler ; La Classe morte de et mise en scène par Tadeüsz Kantor.
Pourquoi ?
Trop long à détailler. Ces derniers sont pour moi les deux repères absolus en matière de nécessité et d’intelligence de l’art théâtral de la seconde moitié du XXe siècle, après Brecht…
L’endroit où vous écrivez en général ?
Maintenant, chez moi, à Paris. Dans mon bureau, une grande pièce très lumineuse, un ancien atelier avec plus de dix mètres de verrières, et un éclairage zénithal, où je suis entouré d’objets que j’aime, ivoires, corail rouge, lithophanies, bateaux en ivoire ou en bois, dioramas, tableaux, sculptures en tous genres, colonnes de marbre ou de bois peint, poutres chargées d’exvotos et de chevaux de bois, vitraux, miroirs sorciers, entouré de dictionnaires en tous genres, de documentations diverses, et de quelques livres, mais aucun livre de fiction…
L’endroit où vous avez écrit ce texte précis ?
J’ai écrit Belle des eaux chez moi, à Paris, même maison, autre bureau alors, bien plus petit, un peu sombre, donnant sur une courette-puits…
Les objets qui vous entouraient alors ?
Rien… Aucun objet. J’ai écrit ce texte debout, sur une table d’architecte, sur une planche à dessin très haute, inclinée, avec la petite planchette au niveau de l’estomac destinée à retenir les crayons, portes-plumes, et autres ustensiles nécessaires à l’écriture et au dessin, ainsi que les feuilles de papier…
Sur quel support écrivez-vous ?
J’ai écrit Belle des eaux à la main, au portemine (le célèbre Critérium en aluminium, à mine de 2 mm, peut-être mon seul objet fétiche – avec ma corne de licorne !), sur le verso de feuilles de papier 21x29,7 à l’en-tête d’une ancienne entreprise culturelle disparue…
J’ai pris l’habitude, depuis quinze ou vingt ans, d’écrire directement sur ordinateur.
Le moment de la journée où vous écrivez ?
Difficile à dire… Maintenant : plutôt entre 10/11 heures et 19/20 heures… Pas vraiment tôt le matin (pourtant j’aimerais bien), ni systématiquement la nuit.
Lorsque j’écrivais avec un statut de metteur en scène de mes propres textes, il m’est arrivé plusieurs fois de continuer à écrire et de finir mon texte le soir, ou la nuit, à l’ordinateur, dans mon bureau, après deux ou trois services de répétitions…
Des sons / odeurs / couleurs qui vous sont chers ?
Cela peut varier du tout au tout selon le moment, le lieu, le contexte… Jusqu’à ce jour, à coup sûr, les odeurs de la mer, les couleurs de la mer, les sons de la mer, criaillements de mouettes compris…
Votre occupation favorite ?
Quand j’écris : écrire. Quand je fais l’amour : faire l’amour. Quand je bois et mange : manger et boire. Quand je souffre : essayer de comprendre pourquoi. Quand je dors : rêver. Quand je rêve : voler. Mais pas voler piquer tirer chouraver. Voler voler…
Quels sont les objets dont vous ne vous sépareriez pour rien au monde ?
Je vis avec des centaines d’objets que j’aime tous, certains passionnément… Je pense pourtant pouvoir supporter d’être séparé de tous, même de certains de mes ivoires et de mes bateaux, même de certains livres, même de certaines photographies, même de ma corne de licorne, même de mon dernier Critérium…
Votre idée du bonheur ?
Je crois que je n’ai pas « une idée du bonheur »…
Quel serait votre plus grand malheur ?
Je ne veux pas l’imaginer…
Ce que vous voudriez être ?
Parfois un chat, mais ça ne dure jamais longtemps. Sinon, un peintre. Sinon, compositeur… Être vraiment moi-même, paresse en moins, serait probablement bien aussi…
Le lieu où vous désireriez vivre ?
Je pourrais vivre au bord de l’océan. Je pourrais vivre aussi à Venise, je m’y sens, absolument, complètement, chez moi…
Les 10 mots qui vous accompagnent ?
En krüste flütchte vlat smouïa bila nietze schmouïe tac : snoupoïa !
Quel est votre état d’esprit aujourd’hui ?
À vue de nez : état de marche… pourvu que ça doure…
Bruno CASTAN, 14 mars 2010