Dans cette seconde étape, il s’agit de mener une recherche comparative. Ce travail pourra se mener en partie durant le temps donné aux élèves pour lire la pièce dans son entier. Cela pourrait donner lieu à des travaux de groupes sur des objectifs ciblés, à partir des pistes d’interprétation proposées ci-dessous.
Belle des eaux s’inspirant clairement du plus célèbre des contes de Madame de Beaumont, La Belle et la Bête, on pourra proposer aux enfants et aux jeunes de se livrer à une recherche sur ce conte et sur son auteur, ainsi dans l’encyclopédie en ligne Wikipédia, se référant à l’ouvrage de Marc Soriano, Guide de la littérature pour la jeunesse (Delagrave, 2002).
On trouvera facilement le conte original chez différents éditeurs. Sa lecture par les élèves leur permettra de percevoir que la matière narrative elle-même en est très proche en termes d’action. Mais il y a aussi des nuances et des différences que l’on fera chercher.
Le conte de Madame de Beaumont s’inscrit clairement dans une optique moralisatrice, mais dans un sens qu’il faut aujourd’hui veiller à ne pas rendre péjoratif. Selon une démarche quasi féministe, elle cherchait en effet à éduquer les jeunes filles, à leur montrer les risques et bienfaits de certaines conduites. Son conte est celui d’une jeune fille qui se trouve récompensée d’avoir choisi de se consacrer à ceux qu’elle aime, par bonté, et d’avoir privilégié la profondeur des sentiments plutôt que les apparences.
De son côté, Bruno Castan ne supprime pas toute morale et semble même parfois la radicaliser. C’est ainsi qu’il resserre la famille : composée dans le conte de six enfants, trois garçons et trois filles, elle se réduit à trois enfants, deux filles et un garçon, ce qui amène une opposition plus franche encore entre les deux sœurs, mais du coup plus personnelle. Surtout, les deux pères ne se comportent pas de la même façon. Dans le conte, le père est moins involontairement égoïste ; dans la pièce, il livre vraiment sa fille, sans trop reculer devant la résolution de celle-ci. Dans le conte, le père est moins dépassé par le réel ; dans la pièce il suit aveuglément les caprices de sa fille Bernardine, exception faite de sa volonté de changer de prénom.
Disparaissent aussi les références à Dieu présentes dans le conte, ce qui semble enlever une part de la leçon morale ; mais sans doute est-ce plus complexe qu’il n’y paraît : cette humanité moderne livrée à elle-même, sans caution divine, n’en est que davantage responsable de ses actes. La Bête de Castan y gagne une humanité beaucoup plus émouvante et touchante, plus incarnée.
Si l’on compare maintenant les deux fins, on voit dans La Belle et la Bête un happy end moral et de bonheur idyllique. Or, dans la pièce, aucun épilogue de cette sorte, pas de famille réunie dans un bonheur retrouvé et tangible, mais une scène d’une grande étrangeté froide, presque morbide, et l’on se demandera avec les élèves de quel royaume Belle devient la reine :
Le haut du buste de Belle émerge d’un océan de blancheur, elle serre dans ses bras un beau jeune homme qui la serre dans ses bras en retour.
[…]
La fée disparaît lentement sous l’océan de blancheur, puis Cornélis, Béranger, Mariette, le jeune homme et Belle…
L’océan de blancheur pourra être en effet interprété de plusieurs façons et on amènera les jeunes à formuler toutes leurs hypothèses.
L’essentiel de l’originalité de cette pièce demeure l’empreinte de la symbolique de l’eau, maternelle et paternelle, vitale et mortifère, de surface et de profondeur. La comparaison avec le conte source est assez éclairante : en effet, le père y est un marchand et tout se passe sur terre. Or, dans la pièce, le père est un armateur et tout se passe au bord de l’eau ou sur l’eau, quand ce n’est pas sous l’eau.