Je me suis toujours dit qu’à la naissance de mon enfant je
planterais un arbre.
Trois jours après la naissance de ma fille, voici qu’on me
passe commande d’une pièce qui s’adresserait à tous les
âges, tous les publics. Ça parlerait d’amour, de merveilleux,
de filiation et d’altérité.
Le soir, assis sur le pas de ma porte, je pense à tout ce qui
m’arrive, en regardant l’arbre de mon jardin. Mon arbre.
Un très vieil arbre qui, comme tous les arbres, sait qu’il
n’appartient à personne, et qui chaque été nous donne
beaucoup de fruits.
Soufflée par ma fille et par le vieil arbre, cette histoire m’est
arrivée.
Il y aura deux personnages.
Une enfant d’une dizaine d’années et un vieux bûcheron
dans un cabanon. Il est seul au cœur du désert. Celui qu’il
s’est créé. Seul, pas tout à fait… Vit à ses côtés le dernier
arbre du pays. La petite, elle, n’a pas de colonne vertébrale.
Et pas de parents. C’est la vie. Depuis toujours elle pousse
dans un corset de bois, aujourd’hui trop étroit.
Pour qu’elle vive, il faut abattre l’arbre et tailler dans son
cœur un corset neuf qui permettra à l’enfant de grandir.
Comme toutes les chenilles, elle ne rêve que de papillon.
Pas le choix.
Le bûcheron, lui, ne coupera jamais l’arbre. C’est le dernier
du pays, et cet arbre, c’est sa vie. Il ne le coupera jamais. Il
l’a promis. À lui-même. Pas le choix.
L’histoire peut alors commencer…
Se mêlera au dialogue la voix de « la Présence », à la fois
conteuse, figure maternelle et lieu de passage où se métamorphoseront
les morts et les vivants.
Trois personnages finalement. Trois âges de la vie. Trio
désaccordé. De la musique de cabane, écrite pour voix qui
boitent, qui grincent, qui respirent à peine, mais qui fatalement
s’accordent pour tisser la fable et la tirer vers le haut,
en pleine lumière.
On s’appuiera sur le conte pour aller vers le théâtre, on
mêlera l’épique au dramatique, on se souviendra ensemble
de ce que l’on n’a pas vécu, on invitera le mensonge et
l’illusion à souffler sur les braises, le tout sous l’œil de l’arbre
qui sait qu’il va mourir et qui définitivement n’appartient à
personne. Et on chantera là l’enfance debout. Parce qu’on
y croit.
Aujourd’hui ma pièce est écrite, ma fille s’aventure tous les
jours un peu plus loin, et son arbre, un jeune figuier magnifique,
pousse chez son grand-père à la campagne.
[/Stéphane Jaubertie/]