Cette manière de lire en intensité, en rapport avec le dehors, flux contre flux, machine avec machines, expérimentations, événements pour chacun qui n’ont rien à voir avec un livre, mise en lambeaux du livre, mise en fonctionnement avec d’autres choses, n’importe quoi, etc., c’est une manière amoureuse.
Gilles Deleuze, Pourparlers 1972-1990, Les Éditions de Minuit, coll. « Paradoxe », Paris : 1992, p. 17.
L’écriture de Stéphane Jaubertie permet cette lecture « en intensité » que défend Gilles Deleuze. Par lecture « en intensité », il faut entendre une lecture qui fait résonance avec ce que traverse l’enfant dans son quotidien et dans ses apprentissages. Comment pouvons-nous faire en sorte que cette lecture ait des échos avec « le dehors », avec la vie de l’enfant et les explorations qu’elle contient ?
Stéphane Jaubertie écrit en agençant des blocs qui vont nous permettre différentes entrées thématiques dans la pièce. Le texte peut être découpé en quatre blocs, comme des espaces thématiques dans lesquels l’enseignement se promènera avec les enfants selon les thématiques qu’il souhaitera explorer, en écho, notamment, aux apprentissages de l’enfant au moment de cette découverte.
Le cheminement que je vais proposer ne respecte donc pas la chronologie du livre mais proposera plutôt une avancée par thématique. Un chien dans la tête peut être découpée en quatre espaces, un grand espace abritant 3 sous-espaces :
Nous allons découvrir chaque espace et les thématiques qui seront à explorer par des extraits.
Chaque thématique pourra être l’occasion de la mise en place avec les enfants d’ateliers de philosophie (cf. annexe a) qui nous permettront de créer un espace dans lequel la résonance entre l’expérience de la lecture et l’expérience de la vie pourrait naître.
Le jardin secret est un espace fictif dans lequel FIls se recueille pour être seul. Dès les premières pages, le lecteur découvre que cet espace est habité par deux personnages : Celle qui reste et Fils de la baleine. Ces deux personnages vont faire voyager Fils dans d’autres espaces : sa maison et le monde extérieur, le dehors. Dans une alternance entre théâtre et récit, ces voyages vont permettre à Fils d’observer sa vie, de regarder depuis un autre point de vue ce qui se passe chez lui, dans sa maison avec ses parents et à l’extérieur face aux autres. Ces voyages vont permettre à Fils de s’en sortir comme l’énonce clairement cet extrait page 12 :
Celle qui reste.- La vérité...
Fils de la baleine.- C’est qu’on est là pour t’aider à t’en sortir tout seul.
Dans le Jardin secret, Celle qui reste et Fils de la baleine aide Fils à mettre en mots son histoire, parfois sous la forme narrative comme à la page 13. La narration est alors répartie entre ces trois personnages. Il est intéressant d’observer de quelle manière Fils alternativement s’intègre à la narration de sa propre histoire puis s’en extrait pour prendre du recul et parfois se laisser surprendre par ce que raconte les deux personnages.
La première période racontée à trois voix est le temps d’avant la honte et sa naissance. Il pourra faire l’objet d’un premier temps de lecture collective allant des pages 7 à 16 et comprenant l’apparition surprenante des deux personnages dans le jardin secret de Fils. Le deuxième temps de lecture qui peut suivre est celui des pages 41 à 50 qui est construit en miroir au début de la pièce.
Les onze premières répliques de la page 7 et celles de la page 41 sont identiques. Le fils se retrouve de nouveau dans son jardin secret en dialogue avec ses deux habitants. Celle qui reste lui raconte son histoire, son effacement à côté de sa sœur jumelle partie exercée son talent de pianiste en Amérique. Depuis, elle s’appelle Celle qui reste.
Finalement, le dernier temps de lecture correspondant à cette thématique du jardin secret est celui de l’histoire du Fils de la baleine des pages 58 à 66. De nouveau dans le Jardin secret du fils, au bord de sa rivière. Fils de la baleine va raconter son histoire. L’histoire de sa honte d’avoir une mère si grosse, l’histoire de sa honte d’être un mauvais fils.
L’enseignant pourra choisir l’un de ces extraits ou les trois extraits pour travailler sur la thématique du jardin secret en mettant en place un atelier de philosophie (cf. annexe a puis annexe c).
Comme écrit plus haut, le jardin secret abrite deux voire trois autres espaces : la maison, le dehors et l’intérieur de Fils (que l’on identifie grâce aux monologues). Des espaces appartenant au quotidien de Fils. Il va pouvoir les habiter de manière fictive pour les observer depuis un autre point de vue.
Le premier est celui de la maison habité par Mère, Fils et le père enfermé dans sa chambre. Cet espace peut être découvert part blocs de lecture qui peuvent faire l’objet d’une nouvelle séance et répondre aux problématiques suivantes : Comment l’imaginaire permet de dépasser des situations réelles embarrassantes ? Comment le détour du jeu, l’aire de jeu permet de revivre ou regarder une réalité qui fait souffrir ?
Deux extraits mettent en jeu ce qu’il se passe dans la maison de Fils :
Dans ces extraits, les deux personnages Fils de la baleine et Celle qui reste jouent Fils et Mère. Encore une fois, il est intéressant de noter que Fils est alternativement spectateur de sa vie et acteur de la pièce de théâtre de sa vie initiée par les deux personnages de son jardin. Stéphane Jaubertie crée une mise en abyme en enchâssant une scène jouée par les deux personnages du jardin secret dans la « grande » pièce Un Chien dans la tête. Des didascalies nous indiquent que nous entrons dans un nouvel espace de jeu et distribuent le rôle de chaque personnage, par exemple, page 16 : « Celle qui reste joue Mère. Fils de la baleine joue Fils », ou encore, page 125 : « Celle qui reste joue Mère ».
Des « intensités » sont à repérer pour devenir le support d’ateliers de philosophie sur les thématiques de la honte et ses corollaires : la relation aux autres et le pouvoir des mots.
Celle qui reste/ Mère.- Fais comme moi. Tu les effaces.
Fils prend sa place.
Fils.- On peut pas effacer les autres, maman.
(page 17)
Fils.- Fou ?
Celle qui reste/ Mère.- Tu l’effaces !
Fils.- On ne peut pas effacer les mots, maman.
(page 19)
La lecture du deuxième extrait (pp. 25 à 32) permettra de comprendre comment se passe le quotidien de Fils dans la maison. De savoir que Mère enferme le père à clé dans sa chambre pour éviter qu’il ne sorte. Nous découvrons progressivement la vie de Fils, la relation entre chaque personnage et la circulation du sentiment de la honte et ses conséquences au sein de la famille.
De la même manière que le lecteur découvre progressivement la maison de Fils et les relations au sein de sa famille, Stéphane Jaubertie crée une nouvelle mise en abyme pour permettre à Fils de revivre dans l’espace de son jardin secret, de sa relation aux autres et au monde extérieur.
Trois extraits peuvent être lus indépendamment les uns des autres pour mettre en exergue la relation du Fils aux autres :
Dans ces scènes de métathéâtre qui se passent dans le jardin secret du fils, Celle qui reste et Fils de la baleine jouent les autres. Encore une fois, les didascalies nous indiquent que « le jeu » va commencer : « Celle qui reste et Fils de la baleine jouent L’Un et L’Autre » (page 20). La même didascalie est reprise page 34. Elle n’est pas reprise à la page 51 mais le lecteur a compris le procédé de mise en abyme. Ces mises en abyme répétées pourront être mises en voix par les élèves, ce que je développerai dans la partie « pratiquer le texte ».Elles pourront aussi être le support d’ateliers de philosophie, notamment sur la thématique centrale du texte : la honte (cf. annexe c).
Mes sources jaillissent dans un jardin dont la porte est gardée par un ange à l’épée flamboyante. Je ne peux pas y entrer […] Je n’ai pas le droit, car… de ces sources jaillit la honte comme d’une fontaine ! Mais une voix intérieure m’ordonne : Approche-toi le plus possible des sources de ta honte !
Witold Gombrowicz, Journal tome I, Gallimard, coll. « Folio », Paris : 1995, p. 619/
Les monologues du Fils sont un parcours intérieur qui amène le lecteur à découvrir d’une manière très précise le sentiment de la honte et son infiltration au plus profond de l’être. Il est d’ailleurs intéressant de repérer les champs lexicaux, les comparaisons et les métaphores filées utilisés par Stéphane Jaubertie pour décrire cette infiltration dans ces monologues. Quelques exemples du traitement sémantique de la honte : « Ma salissure, ma tâche que plus je frotte, plus j’étale » p. 33, « Et la honte s’est mise à tomber, et je n’avais rien d’imperméable » p 62, « Boule au ventre, sueur qui coule » p. 37.
La lecture isolée de ces monologues permettra au lecteur de suivre l’évolution du sentiment de la honte, d’observer comment Fils accepte progressivement le regard des autres et la folie de son père.
Les extraits sont les suivants :
– pp. 32 à 34
– pp. 37 à 39. Ce passage pourrait être lu comme un grand monologue. Alors qu’il est distribué à trois voix entre Fils, Fils de la baleine et Celle qui reste.
– pp. 70.
– pp. 73 où Fils est devenu un homme qui s’est envolé pour vivre sa vie.
Ces monologues seront aussi des supports puissants à énoncer avant de commencer des ateliers de philosophie sur les thématiques de la honte et de la folie.
Je reviendrai précisément sur des jeux de mise en voix de ces extraits qui permettront à chaque enfant d’éprouver par les mots les sensations provoquées par la honte, qui permettront à chacun de questionner le traitement de la folie dans notre société amenant une réflexion corollaire sur la normalité.