L’enseignant définira le concept de quatrième mur : le quatrième mur est l’idée d’un mur invisible sur le devant de la scène, à travers lequel les spectateurs assistent à la vie des personnages sur scène, selon le concept que ces derniers ne jouent pas pour le public. Cette idée fut théorisée pour la première fois par Diderot, dans la mouvance du théâtre réaliste, à la recherche de vraisemblance.
Dans cette partie, les élèves pourront saisir toute la portée du statut de narrateur : les personnages viennent se présenter à tour de rôle, mettre en place les tenants et aboutissants de l’histoire, « faire connaissance » avec le public. Le 4e mur se trouve ainsi complètement aboli. Les élèves pourront s’amuser de cette proximité avec le public, d’autant plus si chaque personnage est incarné par plusieurs élèves, comme nous l’avons proposé dans la partie Mise en voix. Par exemple, page 7 :
« La mère : Je suis la mère…
La mère d’Alice.
La mère de la petite Alice.
Les regards changent quand je prononce les mots.
Autour de moi, les voix se font plus douces, timides,
effrayées.
Effroyablement distantes !
On ne me demande pas comment je vais.
Jamais ! »
Cette réplique, ainsi que celles des autres personnages, peuvent donner lieu à une « joute » de narration entre les élèves se partageant le rôle. En effet l’ajout quasi-systématique d’informations à la suite d’une phrase (« Je suis la mère / La mère d’Alice / La mère de la petite Alice ») semble indiquer que la phrase suivante corrige la précédente – quel narrateur sera au plus près de la vérité, retranscrira le mieux l’histoire au public ? Ce jeu de dichotomie entre d’une part l’union dans la narration (scander certaines répliques en chœur, s’unir pour raconter une histoire) et la résurgence de l’individualité de chaque narrateur, se battant presque pour s’adresser au public, pourra laisser place aux trouvailles des élèves.
Cette scène ouvre la pièce : elle est donc décisive quant à la compréhension de l’intrigue et des personnages. Elle situe les enjeux.
Les élèves réfléchiront à comment rendre compréhensible le partage des répliques. Comment signifier au public que plusieurs enfants se partagent un même rôle ? Par le costume d’abord (à l’aide d’un signe distinctif, un châle, une jupe, une coiffure…) et également par la gestuelle. La voix et le ton pourront également être modulés en fonction des personnages, selon la volonté de l’enseignant et des élèves (une autre approche intéressante serait celle de laisser chaque élève conserver sa voix et l’élocution qui lui est propre, et ainsi s’approprier le personnage à tour de rôle).
Les élèves pourront s’entraîner non seulement à parler en chœur, mais aussi à bouger en chœur. L’exercice du miroir pourra être proposé par l’enseignant pour travailler cette cohésion dans le geste : deux élèves se font face, l’un esquisse des gestes, l’autre le suit comme s’il était son reflet. Cet exercice pourra être détourné dans le contexte de la pièce : nous pourrons ainsi partir du principe que chaque groupe narratif (constitutif d’un personnage) est doué d’un coryphée (les élèves seront tous ce « sous-coryphée » à un moment ou à un autre) entreprenant le geste et la parole, menant le mouvement de groupe.
Alice, « réel » coryphée de cette histoire, est un personnage un peu à part : héroïne-narratrice, absente dans plusieurs scènes mais perpétuellement au cœur du propos, fantôme car morte, pourtant douée de parole et de mouvement comme les autres protagonistes. Les élèves réfléchiront à la façon d’incarner Alice, de la distinguer tout en l’incluant dans leur mise en scène : en effet, ne pouvons-nous dire avec Alice que c’est le personnage mort qui insuffle la vie ?
« Alice : Aujourd’hui,
les miens, les quatre miens,
la mère,
le père,
la grande
et la petite,
vont à l’hôpital. »
Alice a une place quasi démiurgique dans ce prologue : elle enclenche la parole, invite « les [s]iens » à conter son histoire, leur montre le chemin. Un jeu sur la tenue, la lumière et la voix pourra être proposé pour ce personnage, pour le distinguer. La difficulté consistera ainsi à marquer l’aura toute particulière du personnage, sans pour autant l’exclure de la famille, qui fait groupe tout au long de la pièce.