éditions Théâtrales Jeunesse

Trois petites sœurs

de Suzanne Lebeau

Carnet artistique et pédagogique

Oralité dramaturgique et lyrisme épique

Les élèves liront à haute voix les présentations du prologue. Puis l’enseignant leur proposera de les réécrire avec leurs propres mots – quel style adopteraient-ils pour se présenter, s’ils étaient les personnages ?

Suzanne Lebeau s’empare à la fois de l’oralité dramaturgique et d’un langage plus soutenu, attendu au sein d’un récit – les personnages sont en effet conteurs, cette position semble impliquer le devoir d’en passer par un style oratoire quasi romanesque, fluide et loin des familiarités inconscientes de l’oral de la vie de tous les jours. Suzanne Lebeau ne renonce cependant pas à se défaire de la ponctuation, des coupures, alinéas et autres légères familiarités (le « on » à la place du « nous », etc.) propres à une oralité proprement théâtrale, laissant place à la recherche scénique.

Désormais conscients de cette rupture perpétuelle de ton, les élèves pourront réécrire les présentations des personnages en deux temps : une première présentation très orale, telle qu’on s’attendrait à en trouver dans le théâtre contemporain, et une deuxième romanesque. Les élèves pourront dès à présent comprendre à quel point la rupture de ton va jouer un rôle majeur dans l’appropriation vocale de la pièce.

L’enfant-conteur

Une autre difficulté se présente lors du processus d’appropriation du texte : en effet, comme nous l’avons relevé, tous les personnages du texte s’unissent pour former un chœur uniforme dans son récit, comme animé d’une même voix. Nous remarquons dès lors très vite que même les enfants ont un mode d’expression assez soutenu, ancré dans le récit, et tout compte fait plutôt éloigné des habitudes langagières d’un enfant « réel », comme page 10 :

« La petite : Je suis la petite.
(…) Je ne comprends pas tout
parce que je suis trop petite.
Je suis celle à qui on ne dit rien
parce qu’elle est trop petite
et qu’il faut protéger les petits.
(…) je devine.
Je sens.
Je sais. »

La réplique ci-dessus est révélatrice : un acteur « mimant » l’enfant tel qu’on s’attend à ce qu’il parle et agisse passera à côté des nombreuses subtilités du personnage. Ici on pourrait presque percevoir la Petite comme une enfant-pythie, incarnant dans un premier temps ce qu’on attend d’elle (« je ne comprends pas tout ») avant de contredire presque effrontément cette première idée en surplombant ce que disent et pensent d’elle les adultes (« je suis celle à qui… ») et finissant sur la contradiction assumée de la condescendance des adultes (« je devine. Je sens. Je sais »).