éditions Théâtrales Jeunesse

Ouasmok ?

de Sylvain Levey

Carnet artistique et pédagogique

Lors de la lecture d’un texte théâtral, il est important que les élèves perçoivent la présence du texte didascalique et dialogué pour comprendre les différentes voix qui le constituent. Il faudra rappeler aux élèves la distinction entre didascalies et dialogues pour approfondir leur compréhension de ces voix particulières. Dans cette deuxième partie, le but est d’analyser le rapport entre ces différents niveaux d’échange pour répondre aux questions suivantes : Quand le texte didascalique relève-t-il de la régie, de la fiction ? Qu’est-ce qu’une voix didascalique ouverte ? Comment le texte dialogué peut-il avoir une valeur didascalique ? (cf. Bernanoce, 2006, pp. 248-251, pp. 510-511).

Acte de langage et double énonciation

En partant de la discussion précédente à propos des éléments de paratexte, attirer l’attention sur l’extrait suivant :

En ce 12 octobre, monsieur Pierre épouse mademoiselle Léa et vice versa. Ils acceptent tous les deux de mettre en commun leur patrimoine pour fonder une famille.
En cas de divorce, ils donneront tout aux pauvres.

Ceci apparaît en page 5, avant même que l’on connaisse la liste des personnages, comme une sorte d’épigraphe (un terme à expliquer aux élèves) qui permet d’imaginer par anticipation l’intrigue et les évènements de la pièce. Quelle est la valeur de ce passage ? Pourquoi le mettre en exergue ? À qui cela s’adresse-t-il ? Comme s’il.elle lisait les papiers de mariage, le.a lecteur.rice peut se mettre à la place d’un.e témoin ou même du maire dans son acte performatif de proclamation de l’union maritale. Les élèves peuvent essayer d’imaginer quelle serait la fonction de ce texte dans la mise en scène. Est-ce qu’il y serait ? Comment se présenterait-il ?
Un.e lecteur.rice attentif.ve ne manquera pas de rapporter ce texte à la scène dans laquelle Léa et Pierre se marient (p. 38) :

Léa. – En ce 12 octobre, monsieur Pierre épouse mademoiselle Léa et vice versa. Ils acceptent tous les deux de mettre en commun leur patrimoine pour fonder une famille. Voilà signe là et encore là. Voilà un pour moi et un pour toi.
Pierre.– Attends. Tu as oublié les règles en cas de divorce. Faut savoir si chacun reprend ses affaires ou si on donne tout aux pauvres. C’est important. On ne peut pas s’engager à la légère.
Léa.– On donne tout aux pauvres.

On constate que la citation en question est une réplique de Léa, qui proclame le mariage. On peut évoquer ici la notion de double énoncitation et sa valeur performative (quand la parole devient action par un acte de langage). C’est Léa en effet qui réalise la cérémonie par moyen de sa parole et, par conséquent, le.a lecteur.rice en devient un.e témoin comme les spectateurs.rices le seraient lors d’une représentation de la pièce.
Les déictiques :
Une discussion à propos du texte didascalique de régie et de fiction peut se faire avec le début de la « Séquence 3 » (p. 27) :

Elle arrive de nulle part. Il est déjà là.

Les élèves peuvent analyser les déictiques : le pronom personnel « elle » fait référence à qui dans ce contexte ? Et « il » ? Par rapport à l’espace, quels sont les indices ? Est-ce que cela nous permet vraiment de savoir où sont les personnages ? Il s’agit d’une indication de régie (entrée d’un personnage, lorsque l’autre se trouve déjà sur scène), mais le lieu exact de la scène n’est pas dévoilé. Au fil de la scène, et grâce aux paroles des personnages, tant le.a lecteur.rice que le.a spectateur.rice découvrent peu à peu où les personnages se trouvent. On comprend d’abord que c’est une sorte de cachette : « j’étais le seul à connaître cet endroit » (p. 27). Il y a quelque chose de spécial : « on a trouvé cet endroit magnifique » (p. 29). Et la révélation finale achève la description et la découverte simultanée du lieu : « C’est moi le premier qui ai découvert ce lieu. Le haut du clocher de l’ancien couvent Notre-Dame du Vieux Cours est à moi » (p. 30).

Pourquoi est-il important que le.a lecteur.rice sache où se trouvent les personnages ? Que peut-on dire à propos du nom du lieu, à quel type d’établissement scolaire il renvoie ? Quels autres éléments de la scène y sont liés ? Le fait que Pierre devrait être à la chorale, l’existence d’un ancien couvent, etc., sont des indices distillés dans le dialogue entre Léa et Pierre, indices qui sont également dirigés vers le.a lecteur.rice pour lui permettre une meilleure compréhension de l’espace physique et culturel dans lequel les personnages évoluent. Comment imagine-t-on alors le haut de ce clocher ? Les élèves peuvent le décrire ou le dessiner. On leur indiquera, par une rapide recherche sur Internet, que Notre-Dame du Vieux Cours est le nom d’un collège privé qui existe réellement à Rennes. Il pourrait être judicieux de relire à ce moment-là la postface signée par l’auteur (p. 62) :

Je revis la jeune fille, quelques jours plus tard, elle était assise, seule au pied de l’ancien pilori du village. […] Je n’ai jamais revu le garçon. Voici comment est né Ouasmok ? Je n’ai fait qu’extrapoler leur histoire, la déplacer dans un collège du centre Bretagne (ou d’ailleurs).

Texte dialogué et texte didascalique

Il est possible d’établir une correspondance entre le texte dialogué à la fin de la « Séquence 3 » (p. 34) et le texte didascalique au début de la « Séquence 4 » (p. 37) :

Léa.– Tiens je te propose quelque chose. Chaque jour qui passe, on fait un bâton sur le mur. Comme les prisonniers dans les films. Quatre bâtons côte à côte, le cinquième barre tous les autres, et ainsi de suite jusqu’à la fin de l’année. C’est d’un romantisme…

SÉQUENCE 4
Quelques bâtons plus tard, douze exactement.

Pierre.– Alors tu n’as pas changé d’avis ?

Ce passage souligne la tonalité humoristique du texte et questionne le lecteur sur le traitement de la temporalité dans la fiction. Les enfants ont-ils vraiment passé douze jours en haut du clocher ? Ou bien ne s’agit-il que d’un jeu entre eux ?

Tout au long des séquences suivantes, on comprendra qu’il est en fait question d’un jeu sur le traitement du temps dans la pièce. Pierre et Léa vont passer par différentes phases d’une vie à deux (mariage, naissance des enfants, adultère et divorce), phases qui seront traitées à l’aide d’ellipses pour mieux nous faire ressentir l’accélération du temps dans la pièce. On pourra rappeler les règles du théâtre classique (unité de temps, de lieu, d’action) et faire remarquer en quoi la pièce reprend ces codes et s’en libère.

Comme exercice d’écriture, les élèves peuvent rédiger ce que serait leur vie résumée en une seule journée. Sylvain Levey s’est prêté au jeu de l’exercice pour ce carnet pédagogique ; son texte est à lire plus loin dans ce carnet (ici). Exemple de consigne : « Racontez l’histoire de votre vie comme si elle se déroulait en 24 heures, à l’aide de quatre phrases pour chaque période de la journée (matin, après-midi, soir et nuit). Chaque phrase détaillant ces périodes de la journée sera au format d’un tweet (280 caractères) et devra faire référence à votre passé, votre présent ou votre futur. »

Lors de la mise en commun des tweets, mettre en relief les éléments de texte didascalique et de texte dialogué, comme si leurs énoncés étaient des répliques d’une pièce de théâtre.