éditions Théâtrales Jeunesse

Oiseau

de Anna Nozière

Carnet artistique et pédagogique

Le malaise des adultes face à la mort

Alors que nous avançons dans le texte, nous rencontrons Paméla, notre second personnage-narratrice. Elle apparaît à la scène 3, évoquant le deuil qu’elle traverse également :

PAMÉLA.– Mon chien est mort au mois d’avril. Il s’appelait Calamar. J’ai pleuré toute la nuit devant sa gamelle de croquettes. Le lendemain, je suis arrivée à l’école avec les yeux rouges, la maîtresse a cru que j’avais une allergie. Je lui ai raconté. Tu sais, Paméla, a expliqué la maîtresse, ça ne vit pas très longtemps les animaux. Je trouve que la maîtresse est méchante. (p. 10)

Paméla, confrontée à la mort d’un animal et non d’un humain voit sa douleur ignorée et expérimente directement la différence de traitement et de valeur face aux morts.
Son incompréhension est mise en miroir avec celle de Mustafa, écarté de la cérémonie funéraire de crémation de son père jugée « trop dure » pour lui(p. 8), puis empêtré dans des formalités administratives au moment d’évoquer sa situation :

MUSTAFA.- […] J’ai écrit mon nom, BEN BACHIR, et les prénoms de mes parents, Juliette et Amid. J’ai coché la case pour les parents séparés. Je suis au courant de ta situation, mon bonhomme, a dit la maîtresse. Tiens, je te donne une autre fiche. Tu n’as qu’à écrire seulement le prénom de ta mère. L’autre fiche était la même, il n’y avait aucune case pour un parent décédé. J’ai demandé : Où est-ce que j’écris le prénom de mon père ? (p. 9)

Les deux enfants sont confrontés à la difficulté de trouver un·e interlocuteur·rice à l’écoute de leur chagrin, avec qui aborder frontalement la question de la mort d’un être cher. Tout au long de la pièce, un sujet émerge pour trouver sa conclusion tardivement : les adultes sont mal à l’aise avec la mort, plus encore quand il s’agit d’en parler avec les enfants. L’enseignant·e pourra interroger les élèves sur leur ressenti quant à cette gêne. De façon plus générale, iel pourra évoquer la notion de tabou et demander aux élèves pourquoi cela semble complexe de parler de la mort. De quoi les adultes ont-ils peur ?

Apprendre à voir les signes

Très vite, la pièce glisse vers un nouveau sujet : la permanence de la présence des mort·es dans nos vies, à travers le souvenir d’abord, et via les signes qu’iels nous envoient. Les enfants sont sensibles à ces signes, particulièrement la petite bande d’endeuillé·es qui s’est constituée comme un refuge au chagrin autour de Mustafa, Paméla et Françou.

Plus loin dans la pièce, scène 13, Paméla note une contradiction entre le discours des adultes et leur attitude quant aux signes envoyés, qu’ils ne veulent pas, ou ne sont pas capables de voir :

PAMÉLA – Mes amis, ça ne va pas, j’ai dit. Premièrement : les adultes pleurent parce que les morts leur manquent... mais ils ne veulent pas voir leurs signes !
Deuxièmement : les adultes mettent sur les tombes des livres en marbre, des cadres en carrelage... qui oserait offrir des trucs aussi moches à un ami ?!! (p. 23)

De façon générale, la pièce traite de notre impuissance face à la mort, qui se manifeste dans le discours et dans les actes. Nous ne savons pas comment en parler ni comment honorer nos morts de manière cohérente. À partir de cette réflexion, l’enseignant·e pourra proposer aux enfants de relever tous les signes envoyés par les mort·es dans la pièce - par exemple : l’évocation de « l’autre côté » (p. 15), l’apparition des Chaloubes dans le réel (p. 19) ou encore l’oiseau-père de Mustafa (p. 22) - et chercher avec elleux une explication rationnelle à ceux-ci, puis demander aux élèves ce que cela change si ces signes sont bien réels.

Doute, foi, croyance

Ces recherches pourront ouvrir une réflexion sur le surnaturel et le genre littéraire du fantastique. Pour aborder cette question, l’enseignant·e pourra commencer par proposer d’analyser la citation de Tzvetan Todorov : « Le fantastique, c’est l’hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles face à un évènement en apparence surnaturel. » Le genre fantastique fait douter le ou la lecteur·rice et brouille les limites entre le réel et le surnaturel.

L’enseignant·e pourra interroger les élèves : la pièce Oiseau appartient-elle au genre littéraire du fantastique ? Par quels aspects ? Quels personnages doutent de ce qui arrive ? De cette discussion, on peut dresser un constat clair : il y a celleux qui refusent de parler des mort·es ou de les voir, et celleux qui y croient ou qui veulent y croire, celleux qui croient au surnaturel, et celleux qui n’y croient pas.

Cet échange permettra aussi d’aborder avec les élèves la question de la croyance : pourquoi croire en quelque chose d’irrationnel ? Qu’est-ce que cela fait aux personnages – ou à nous-même d’ailleurs – de croire au surnaturel ? On pourra les amener à se demander ce que cela change dans notre rapport au monde. Puis l’enseignant·e pourra faire lister aux élèves des créatures ou concepts surnaturels, et les classer en différentes catégories. De cet exercice pourra découler un exercice d’écriture, dans lequel les élèves imagineront un monde où le surnaturel est présent (nous pouvons voler, les morts nous parlent, les dragons existent…).