Les désaccords entre adolescent·es et parents et le récit de leur division sont abondants en littérature. Ici, l’autrice a choisi une approche complexe et nuancée. À l’immaturité émotionnelle de certains parents répondent une certaine lucidité et force de caractère chez les adolescent·es, qui brûlent de prendre leur indépendance autant qu’ils reconnaissent avoir besoin de protection et de conseils.
Aussi, le passage à l’âge adulte que raconte Mobile home est souvent mis au défi : qu’est-ce que ce « passage » qui suggère un avant et un après bien simpliste ? Qu’est-ce même que l’âge adulte ?
Côtelette réclame de pouvoir s’affranchir de la tutelle de ses parents, en particulier en ce qui concerne sa décision de garder son bébé : « Y a pas de problème, Poney. Je suis enceinte. Je suis heureuse d’être enceinte. Je vous le dis. Je suis heureuse de vous le dire » (page 19). Puis elle déclare, pleine d’assurance : « C’est moi qui décide. C’est ma vie. Ça m’appartient […] Si je veux être mère, ça m’appartient » (page 19). On peut noter ici le style saccadé et bref de Côtelette : elle n’explique rien, ne se justifie pas : elle affirme. Elle oppose cela à l’approbation qu’elle devrait solliciter auprès de ses parents. À Dino qui lui demande ce qu’en pensent ses parents, elle répond « Ça les regarde pas » (page 19).
Côtelette n’est pas la seule à vouloir s’affranchir de la tutelle de ses parents. Poney, malgré son jeune âge, est déjà dans un rôle d’adulte responsable et raisonnable. Il rappelle à Côtelette, parfois désinvolte, l’importance de s’assurer de sa grossesse ou de la nécessité – dans son intérêt – de parler à ses parents. Poney est le roc de sa famille, celui qui administre la vie de ses frères et sœurs puisque leur mère ne peut remplir ce rôle et répond à leurs sollicitations : « Normalement non j’ai vérifié hier, c’était bon. /…/ mais t’affole pas, cent euros c’est pas un gros découvert, c’est rien… /…/ » (page 41). D’ailleurs, Côtelette le lui dit : « Dans cette famille, tu joues tous les rôles, sauf le tien » (page 42). Si Poney défend ce fonctionnement (page 43), il accepte finalement de claquer la porte lui aussi : « Le Poney, l’est plus là, fini ! […] Plus de Poney à votre service. / Disparu little Poney. / Poney n’existe plus » (page 47). Il retrouve alors une certaine insouciance qui lui faisait défaut.
Dino, lui, ne semble pas ressentir le besoin de partir. Pourtant, juste avant la fin de la pièce, il décide de se joindre à ses deux amis : « Si vous allez en Italie, je viens » (page 57). La résolution tardive de Dino trouve peut-être son explication (ou une partie d’explication) dans l’amour plus ou moins explicite que Côtelette et Dino éprouvent l’un pour l’autre (je vous renvoie à la scène de la paillette) et à l’amitié qui les lie Côtelette, Poney et lui. Et si, pour Dino, le cœur de l’élément déclencheur de son départ était non pas le désir de quitter un cocon familial mais celui d’en créer un autre ?
L’idée centrale ici est que mineurs ou pas, les personnages de Mobile home n’attendent pas d’être adultes avant de choisir la vie qu’ils veulent vivre.
L’aspiration au départ de Côtelette, Dino et Poney est contrebalancée par les illusions et fantasmes dans lesquels ils se perdent, sapant notre confiance de lecteurs et lectrices en leurs chances de réussir leur départ. Côtelette, par exemple, refuse de faire un test de grossesse : « Je suis enceinte je le sens, c’est tout c’est comme ça. Je le sens » (page 17). Côtelette qui fume, boit et refuse le test de grossesse prend-elle la mesure de ce qui se joue ?
Aussi, les personnages parlent beaucoup de « rêve », songent aux plages, à l’absence de contraintes et de contrariétés, sans vraiment réfléchir à où et comment vivre loin de leurs parents - et de leurs ressources (voir pp. 21, 40 et 49-50).
Ce n’est pas tellement ce qu’ils imaginent qui trahit un certain manque de lucidité, mais plutôt ce qu’ils n’imaginent pas. Par exemple, Poney rappelle souvent à Côtelette ce que cela signifie d’avoir un bébé : « Les fruits de mer. C’est déconseillé aux femmes enceintes », page 52 ; « Achète-toi une poupée, c’est plus sûr », page 53.
Le monologue de Dino clôturant la pièce est assez frappant : vont-ils vraiment partir ? Le veulent-ils ? Dino ne le sait pas lui-même et semble se laisser porter par le fil de sa pensée, même il se contredit. La grossesse de Côtelette ne semble par ailleurs plus certaine : « Côtelette, jamais elle avoue quand elle se trompe. », page 62.
Les adultes de Mobile home sont complexes, c’est-à-dire qu’ils sont des êtres humains dépeints sans un certain idéalisme souvent attribué aux parents. Côtelette annonce d’ailleurs la couleur très tôt dans la pièce en répondant à ses amis que le père du bébé est « majeur » alors qu’ils lui demandent s’il s’agit d’un adulte. Les voix intérieures et adultes renforcent cette perméabilité entre l’âge et le fait d’agir comme un adulte (voir page 57).
Les rôles enfants/parents sont renversés. Les parents sont immatures, incapables parfois de prendre soin de leurs enfants :
• Les parents de Côtelette, par exemple, négligent leur fille, malgré la tendresse évidente qu’ils ont pour elle : voir la scène pp 23-32 : « Et ton père son portable, toujours ? / Toujours » (page 25), « Est-ce qu’on garde ton père qui s’agite, pressé que ça se termine ? / Oui, oui. Il a toujours plus intéressant à faire. » (page 27) ou encore, page 28 : « [ma mère] vit que pour son chien ».)
• Quant à Poney, nous avons vu comment il est devenu responsable de sa famille.
• En ce qui concerne la mère de Dino, elle est enfermée dans une relation de dépendance affective avec son propre père qui impacte fortement sa capacité à être l’adulte responsable et autonome dans sa relation à son fils (page 56).
• Mais les adultes peuvent aussi être dangereux, s’éloignant encore davantage du rôle de parent. Le père de Dino l’a abandonné enfant et le père de Poney est violent (pages 43-46).
Les adultes responsables, ici, ont abandonné leurs responsabilités. Ainsi, le départ des adolescent·es est aussi une tentative de remettre les choses dans l’ordre.
La sexualité joue un rôle dans l’affirmation de son identité et de son indépendance affective vis-à-vis de ses parents. Par exemple, Côtelette est enfermée par ses parents dans un schéma infantilisant : « Pour ma mère, j’ai toujours huit ans. Elle m’achète encore des culottes avec des licornes […] Et mon père me conduit en cours parce qu’il a peur que j’y aille pas. S’il pouvait, il me déposerait à la porte de la classe avec un bisou, mon sac et mon goûter » (page 20). Cette enfance sans fin trouve un écho dans Fenêtre / Voix 3 : « Mon corps d’encore enfant. Mon corps déjà. Qui n’appartient qu’à moi » (page 23). Côtelette le dit d’ailleurs très clairement : « J’ai besoin de partir. Pour être moi. Sans eux » (page 32).
Autre moyen, symbolique s’il en est, de se réapproprier son existence et de s’affirmer est de choisir son propre nom, ce que Poney fait page 48 après avoir décidé de ne plus prendre la responsabilité de sa famille et de partir avec Côtelette.