Carnet artistique et pédagogique
Création le 22 novembre 2017 à la Maison du Théâtre de Brest
Théâtre visuel à partir de 13 ans
Distribution
Texte : Sylvain Levey
Mise en scène : Antonin Lebrun
Assistante mise en scène et regard extérieur : Juliette Belliard
Dramaturgie : Pauline Thimonnier
Interprètes : Anaïs Cloarec et Antonin Lebrun
Marionnettes : Juan Perez Escala, Antonin Lebrun, Mya Eneva, Juliette Belliard
Scénographie, création et régie lumière : Vincent Bourcier et Charles Roussel
Musique originale : Pierre Bernert
Régie son : Guillaume Tahon
Costumes : Ariane Cayla
Pour visionner le teaser du spectacle : https://vimeo.com/245180827
Note d’intention d’Antonin Lebrun, metteur en scène :
« Shitstorm » : Déferlement de commentaires haineux sur Internet. Ce phénomène devenu courant, prend comme point de départ un partage aux valeurs morales douteuses d’un internaute souvent inconscient des conséquences de son acte. Un avis politique divergent, la provocation, l’humour noir, ou encore l’ignorance et la bêtise assumées sont les limites de la liberté d’expression sur le web. Mais tout ceci ne reste qu’une question de point de vue. Pour le personnage de Michelle, comme Sylvain Levey le propose dans son texte, il n’est question d’aucune revendication réfléchie ou provocation de l’éthique et de la morale vis-à-vis des camps de la mort. Il s’agit simplement du partage spontané d’un instant d’émotion forte qu’elle ne sait pas comment exprimer. Alors, pourquoi pas un selfie puisque tout ce qui importe dans sa vie, elle en fait un selfie.
Il faut ajouter qu’elle sourit sur cette photo. On peut y voir plein de choses dans ce sourire qu’elle arbore sur cet instantané d’autant plus qu’il est le même que sur ses autres photos : moi et mon chien, moi et mon petit dèj, moi et mes amis, moi et mes nouvelles chaussures, moi et ma mère à la date anniversaire de la mort de mon père. Ce dont on a pas idée, c’est que ce sourire n’est plus une simple expression de sentiment mais qu’il est devenu, au fil des tweets, une part de son identité virtuelle.
Ok, jusque-là on ne peut pas vraiment lui en vouloir. C’est juste une milliardième victime des phénomènes de comportements sociaux véhiculés par le net... sauf que… Nous avons tous une façon différente de nous recueillir dans un cimetière et le selfie est monnaie courante au Père Lachaise sans pour autant fâcher des hordes de fans de Jim Morrison ou Pierre Desproges. Mais Auschwitz... ça n’est pas vraiment un cimetière ni un musée, et c’est bien cela le problème. Chaque personne qui y passe vient y confronter son rapport personnel à la haine humaine transformée en stratégie d’extermination industrialisée, à l’idée que des hommes, des femmes et des enfants ont vécu l’inimaginable en tentant de garder leur humanité, leurs espoirs et leurs amours jusqu’au bout, à l’idée que c’était il y a 70 ans et que l’être humain ne peut pas avoir changé depuis comme par magie. Certes ce selfie peut paraitre déplacé pour exprimer ces sentiments dans ce lieu. Mais de là à jouer à « qui arrivera à humilier le plus une jeune fille naïve à coup de tweets » ? À ce que cela face le buzz dans les médias ? À ce qu’elle doive se justifier à la télévision pour avoir enfin l’espoir d’être graciée par la communauté d’internautes… ?
Nous avons tenté, avec ce spectacle de jongler avec l’empathie du spectateur pour le personnage de Michelle. Passer de l’incompréhension face à des adolescents figés, les yeux rivés sur leur portable toute la journée, à la sympathie pour ces mêmes ados que l’on découvre plus vivants qu’on ne l’imaginait à travers leurs identités numériques. Puis nous pourrons retomber dans l’incompréhension et peut-être le dégoût du personnage de Michelle lors de l’acte de son selfie pour enfin revenir à l’empathie suite au “shitstorm” et à la manipulation télévisuelle qui rend Michelle victime et “star d’un court instant”. On pourra aussi remarquer que le fait qu’il se soit agi d’Auschwitz importera peu au final pour les médias. Ce qui compte... c’est le buzz.
Note d’intention de Sylvain Levey :
Pendant les vacances d’été 2014 j’ai lu un article : « Doit-on en vouloir à la jeune fille qui a fait un selfie à Auschwitz ? ». Une jeune américaine lors d’un voyage scolaire en Pologne se prend en photo à l’intérieur du camp d’Auschwitz. Sur la photo qui accompagnait cet article le portrait en mode selfie souriant de cette jeune fille avec derrière elle les baraques du camp de concentration.
Suite à la publication de son selfie sur les réseaux sociaux, la jeune fille a reçu une multitude de commentaires l’insultant, la méprisant, certains lui conseillant de mettre fin à ses jours.
Suite à ces commentaires et au scandale qu’a provoqué cet autoportrait la jeune fille s’est justifiée en parlant d’un hommage à son père décédé qui était passionné par l’histoire de l’Holocauste. Cette jeune fille a même été invitée sur des plateaux de télévision pour raconter son histoire.
J’avais ici mon point de départ, le parcours de cette jeune fille qui allait devenir point central d’une pièce de théâtre.
Je pensais immédiatement à la proposition d’Antonin Lebrun de la compagnie Les Yeux Creux. Nous avions discuté, quelques semaines auparavant, au cours d’une séance de travail, sur ses envies de travailler avec moi pour les adolescents en vue d’une création où la marionnette aurait une place importante. Je relis quelques notes que j’avais prises lors de ce déjeuner de travail : le mot « honte » y était griffonné dans un coin de page. C’est ce mot qui pose la question de départ de ce texte : Avoir honte ? Ou pas ? Est ce grave ? Ou pas ? La honte individuelle de cette jeune fille, la honte collective qui nous hante toutes et tous.