Carnet artistique et pédagogique
L’enchaînement des scènes est marqué par une indication temporelle. Dans la pièce, on ne trouve que des indications temporelles, aucune indication de lieu, alors qu’il s’agit d’un voyage scolaire. Comme si le temps de l’action était plus important que le lieu où elle se passait : le maintenant sans l’ici. La représentation avant la présentation, tel est d’ailleurs le principe des réseaux sociaux : comment je montre ce que je vis au moment (voire avant même) de le vivre ? Je propose de réfléchir avec les élèves sur cette question : pourquoi le temps est-il indiqué et non le lieu ? Peut-être parce qu’avec Internet, si un seul temps est à noter (le temps de la publication), les lieux sont indifférenciés. Le principal bouleversement d’Internet est bien de faire communiquer deux personnes qu’elles soient à des milliers de kilomètres ou à côté l’une de l’autre (voir la notion d’ubiquité : on peut être à un endroit, ou visiter virtuellement un endroit dans le monde sans avoir besoin de s’y rendre physiquement).
Avec le tableau proposé, on pourra faire réfléchir aux élèves aux notions suivantes :
Jour/heure | Lieu | Action | Type de discours | Personnages/avatars |
02/05/2015, 6h03 | chambre de Michelle + cuisine | Michelle se lève | Monologue + réseaux sociaux | Michelle, La mère, uneviedechat, angeoudemon |
02/05/2015, 6h44 | Salle de bains | Discussion mère et fille | Dialogue | La mère, Voix de Michelle |
02/05/2015, 6h48 | Salle de bains | Michelle se prépare | Monologue + réseaux sociaux | Michelle, Voix de la mère, uneviedechat,pierredelune, angeoudemon,crazy6,izuki |
02/05/2015, 7h03 | Voiture | La mère de Michelle écrase un lapin | Dialogue | pierredelune, angeoudemon, Michelle, La mère |
02/05/2015, 7h18 | Sur la route | Enterrement du lapin | Dialogue + réseaux sociaux | Kim, Sélim, Abel, Angèle, La mère, Michelle, |
02/05/2015, 7h20 | Collège | Les élèves attendent Michelle | Dialogue + groupe WhatsApp | uneviedechat, La professeur d’histoire, le professeur d’allemand, Sélim, Michelle, Angèle, Abel, Sélim |
Le dialogue
La pièce commence par une préoccupation d’adolescente, p. 7 :
Se lever. C’est difficile.
Ce premier monologue de Michelle mêle une description de sa couette et l’odeur du café et de la cigarette de sa mère. On est là dans un dialogue virtuel, qui a lieu par le biais des réseaux sociaux : quand la mère prend la parole (une parole non entendue car il s’agit d’une pensée) elle fait référence à une pensée que sa fille doit avoir à ce moment-là, p. 7 :
Ma fille veut que j’arrête.
On est dès le début, dès le réveil, dans un espace où les êtres sont connectés les uns aux autres sans arrêt, avant même de se lever et de se voir physiquement. Un dialogue particulier s’instaure, à l’image des dialogues des réseaux sociaux, un dialogue virtuel entre la mère et la fille, à peine réveillée.
Dans la voiture, mère et fille se présentent à nous en se re-présentant comme si chacune se décrivait sur un réseau, p. 9 :
La mère : Nous habitons Amelécourt.
Michelle : Un village en périphérie de Château-Salins
Chacune complète les paroles de l’autre par la pensée, comme on peut le voir p. 10 :
Michelle : J’hésite avec une première littéraire.
La mère : Elle passera le bac.
Tout se passe comme si elles étaient en représentation d’une pièce imaginaire, imaginée. On retrouve un thème fort, shakespearien, sur le théâtre comme métaphore de nos vies :
« Le monde entier est un théâtre, et les hommes et les femmes ne sont que des acteurs. »
Mais si pour Shakespeare, c’est un dieu qui tire les ficelles de nos vies, pour Sylvain Levey, ce sont nous qui imaginons nos propres rôles pour en faire « une vie ». Et pour cela, nous utilisons parfois un outil : Internet. Ce n’est plus un dieu qui jouerait avec les êtres pour les mettre en scène mais ce sont les hommes eux-mêmes à travers les réseaux sociaux qui jouent avec leur propre « moi » et le « moi » des autres, pour le mettre en scène. Le vrai dialogue entre mère et fille ne commence que dans la voiture, soit plus d’une heure après le réveil de Michelle, au moment où la mère écrase le lapin. L’accident du lapin est l’élément du réel qui permet de commencer l’histoire.