Carnet artistique et pédagogique
Carnet mis à jour en mars 2023.
[(Carnet pédagogique rédigé par Emmanuelle Soler, productrice de l’émission de radio « Minute papillon » à Nanterre, intervenante et formatrice en milieu scolaire et parascolaire
Site web de la radio.)]
Qui est Michelle ? Ou plutôt : qui est uneviedechat ? Une adolescente insouciante ou mal élevée ? On assiste ici à la confrontation de deux mondes : celui des « vieux », qui regardent défiler le paysage, et celui des jeunes, prompts à le mettre en boîte, ce beau décor, avec leurs smartphones tout équipés et ultraconnectés. C’est à ce nouveau monde qu’appartiennent Kim, Angèle, Michelle, Sélim et Abel. Et c’est l’ancien monde qu’ils viennent visiter en allant découvrir à Auschwitz l’horreur des camps de concentration, ce souvenir dur et froid, qui ne résistera pas, cependant, au sourire de Michelle et au déclenchement de son appareil photo…
A-t-elle accompli son devoir de mémoire en prenant ce selfie ? A-t-elle sali le passé en posant devant les vestiges de la Shoah ? Les avis divergent sur les réseaux sociaux, les commentaires fusent, et la Toile se referme sur Michelle, prisonnière virtuelle d’un harcèlement numérique cruel. L’écran devient le point de confluence entre le réel et l’image, et redessine nos espaces de parole et de liberté.
Avec cette pièce chorale inspirée d’un fait divers réel, Sylvain Levey nous laisse libres d’exercer notre regard – et notre jugement – sur cette société du paraître que nous avons bâtie. Grâce à une dramaturgie jouant de l’immédiateté d’Internet, il démonte le mécanisme de l’emballement virtuel, qui confine au harcèlement.
Né en 1973 à Maisons-Laffitte, il est acteur et auteur. Depuis 2004 (année où paraissent Ouasmok ?, aux éditions Théâtrales, et Par les temps qui courent, chez Lansman), il a écrit près de trente textes de théâtre très remarqués, aussi bien pour les enfants ou les adolescents qu’à destination d’un public adulte. La plupart ont été publiés aux éditions Théâtrales et créés notamment par Marie Bout, Anne Contensou, Anne Courel, Christian Duchange, Émilie Le Roux, Olivier Letellier, Laurent Maindon, Cyril Teste ou Delphine Crubézy. Des lieux comme le Centquatre, le Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, le Théâtre national de Bretagne, la Ménagerie de verre, la Schaubühne, le Théâtre national de Serbie, le Centre dramatique national de Rouen, le Théâtre national de Chaillot et la Comédie-Française ont accueilli des productions de ses textes.
Il travaille souvent en résidence et répond à des commandes d’écriture, à l’occasion desquelles il aime s’impliquer auprès des structures et de leur public, en France et à l’étranger.
48 personnages. Imaginez 48 personnages sur une scène de théâtre… Il s’agirait sans doute d’une pièce de théâtre qui traiterait d’un événement historique marquant comme la Révolution française ? Eh bien non. Il ne s’agit pas là d’une pièce sur une révolution historique réelle, palpable, avec des personnages qui prennent des armes, se battent. Pourtant, tout laisse penser qu’il s’agit bien d’une pièce sur une révolution.
Cette révolution, c’est celle du numérique et des réseaux sociaux. Des révolutions différentes de celles mentionnées dans les livres d’histoire, mais des révolutions culturelles qui méritent qu’on s’y arrête, si tant est qu’on puisse le faire. C’est aussi tout le paradoxe que pose le rapport du virtuel au réel : toute analyse d’un événement présuppose une mise à distance, un pas de côté, que nous ne pouvons pas avoir à l’heure actuelle, parce que nous sommes en train de le vivre. Comment traiter de ce sujet aujourd’hui, alors que nous sommes « en plein dedans », en plein dans une révolution du virtuel bien « réelle » même si elle est impalpable ?
Sylvain Levey, lui, a décidé de parler de cette révolution. Non pas en faisant un pas de côté mais en faisant un pas dedans. Et c’est ce « pas dedans » qui est le fil conducteur de toute sa pièce. Michelle doit-on t’en vouloir d’avoir fait un selfie à Auschwitz ? n’est qu’une histoire d’intrusion, d’imbrication du virtuel dans le réel. Une histoire « de pied dans le plat ».
Faire un « pas dedans » c’est parler des réseaux sociaux en adoptant, jusque dans le langage, la logique des réseaux sociaux. Écrire sur cette « révolution » c’est tenter de transformer la langue des réseaux sociaux en langue littéraire – toute écriture littéraire n’étant qu’une réécriture, la création d’un nouveau langage au service d’une histoire à raconter.
Le pas de côté, Sylvain Levey le réalise en bouleversant ses propres habitudes d’auteur : un cadre bien posé, un usage « classique » de la langue française qui utilise la grammaire et l’orthographe, appris à l’école. Il se détache de ces règles classiques pour faire advenir une parole contemporaine. Révolution !
Faisons ce pas de côté avec lui. Laissons-nous porter par la révolution avant même de savoir si c’en est réellement une, avant même de vouloir analyser l’événement, ou le juger.