Carnet artistique et pédagogique
Séquence dite de "l’Extraterrestre"
JULIE MORRISSO : Je m’appelle Julie Morrisso, je suis la sœur de Gaspard Morrisso, j’ai sept ans et je suis convaincue que mon frère est un extraterrestre. [Extraterrestre1]
ANTOINE MORRISSO : En fait, l’idée est venue de Patrice R[Bip] Leupe, mon chef de service, à qui j’avais parlé de Gaspard, et qui avait émis l’hypothèse que mon fils soit un extra-terrestre. Patrice R[Bip] Leupe était, à l’époque, très versé dans le paranormal... J’avoue que dans certaines situations il est difficile de ne pas se raccrocher à l’espoir.
SABINE MORRISSO : Au début, je crois que ça a surtout beaucoup aidé mon mari : cette idée-là, pour une fois, ça lui convenait. Gaspard n’était pas anormal, il ne se moquait pas de lui, c’était simplement un extra-terrestre.
ANTOINE MORRISSO : Évidemment, au début, j’étais perplexe. Et puis Patrice R[Bip] Leupe m’a donné des arguments assez convaincants, m’expliquant, revues scientifiques à l’appui, que le sommeil est un composant essentiel de la santé, que la privation de sommeil induit chez un individu un certain nombre de troubles comme la perte de mémoire, les problèmes de croissance, l’inattention, la dépression nerveuse, troubles qui étaient totalement inobservables chez Gaspard ! Gaspard était resté un bon élève, un enfant en pleine santé, sans autre symptôme que cette anomalie du sommeil, et donc, tout d’un coup, il était possible, effectivement, que Gaspard, puisqu’il ne réagissait pas comme un être humain, soit un extra-terrestre. Et puis Patrice R[Bip] Leupe m’a demandé : « Qu’est-ce qu’il fait la nuit, est-ce que vous savez ce qu’il fait la nuit ? » Je ne m’étais jamais posé la question. Jamais. C[ExtraterrestreFinal] puis [Extraterrestre2]
SABINE MORRISSO : La nuit, pour nous, c’était la grande inconnue. Nous dormions, Gaspard vaquait, on ne savait pas trop ce qu’il trafiquait, il errait dans la maison, il faisait ses devoirs, il jouait, il vaquait. Nous n’en savions pas beaucoup plus, mais on ne s’en inquiétait pas puisque que ça se passait plutôt bien.
JULIE MORRISSO : Mon père avait invité un copain de son travail à dîner, …
JEAN-CLAUDE SUCO : Julie Morrisso.
JULIE MORRISSO : … on avait mangé, et après on avait fait semblant d’aller se coucher. Et on a attendu dans ma chambre, avec mon père et son copain, pour voir ce que faisait mon frère, parce que généralement mon frère ne dormait pas la nuit, ou alors par petits bouts, comme dans la journée. Et mon frère a regardé la télé, et ça, déjà mon père n’était pas content parce qu’il a regardé la télé assez tard… Et puis, à un moment, mon frère est sorti dans le jardin et on a regardé par la fenêtre de ma chambre, et on l’a vu dans le jardin en train d’allumer une lampe de poche, et de la diriger vers le ciel. C’était super bizarre.
ANTOINE MORRISSO : Gaspard dirigeait sa lampe torche vers le ciel, il l’allumait, il l’éteignait, comme un signal. Et là, Patrice R[Bip] Leupe m’a dit : « Il établit le contact. »
JULIE MORRISSO : Mon frère entrait en contact avec les extra-terrestres avec sa lampe, qui était une lampe spéciale qu’on voyait depuis sa planète.
ANTOINE MORRISSO : Et ce petit jeu s’est reproduit plusieurs soirs de suite, avec des variantes : Gaspard prenait le sac de la tondeuse à gazon, il se glissait dedans, faisait des petits bonds dans le jardin en poussant des cris étranges... C’était comme un rituel... C’était très étonnant... Et puis un soir, Gaspard faisait ses petits bonds, soudain il s’est immobilisé, il a tendu les bras vers le ciel, il était comme en transe, et d’un coup il s’est effondré sur le sol. On a été très impressionnés.
JULIE MORRISSO : Le copain de mon père a dit : « Allons voir », et on est descendu dans le jardin.
ANTOINE MORRISSO : Gaspard était étendu dans l’herbe, inerte, et on a constaté qu’il dormait. Et Patrice R[Bip] Leupe a dit : « Il faut le faire parler. »
JULIE MORRISSO : Le copain de mon père a demandé à mon frère « d’où viens-tu ? », et mon frère a répondu : « Dlarmize. » Après le copain de mon père a dit : « c’est une planète ? », et mon frère a dit : « Wertonn ». Alors mon père a dit : « Qui est Wertonn ? » Et mon frère a dit : « c’est mon père ! » C[Extraterrestre3]
ANTOINE MORRISSO : Et tout d’un coup j’étais Wertonn, je me suis senti Wertonn, c’était comme une révélation ; j’ai serré mon fils dans mes bras, il s’est réveillé et il m’a dit « Papa, qu’est-ce que tu fais là ? », je lui ai dit : « Tout va bien mon fils, je suis Wertonn », il a dit : « Ah bon », et il s’est rendormi.
SABINE MORRISSO : Et, de ce jour-là, l’attitude de mon mari à l’égard de Gaspard a changé du tout au tout. Par exemple, il a cessé aussitôt de secouer Gaspard quand il dormait à table en phase 3-4. Et donc, quelque part, je me suis dit : « laissons faire, quelque chose de positif est en train de se passer entre Gaspard et mon mari : ils se retrouvent. »
JULIE MORRISSO : À l’école, j’ai demandé à mon frère qui était Wertonn, et il m’a demandé pourquoi je lui demandais ça, et je lui ai dit qu’il avait dit à papa que Wertonn était son père, et mon frère a dit que ça l’étonnerait bien parce que le père de papa, c’était papi. Et il a rajouté : « papi, c’est pas une tondeuse à gazon ». Et je lui ai demandé pourquoi il disait ça et il m’a dit : « t’as qu’a aller voir dans la remise. » Et, en rentrant à la maison, je suis allée regarder dans la remise et j’ai vu la tondeuse à gazon, et dessus il y avait marqué : « Wertonn. » Et j’ai compris que mon frère était un extra-terrestre qui avait des supers pouvoirs parce qu’il avait transformé mon papi en tondeuse à gazon. Et je ne l’ai plus jamais embêté. C[Extraterrestre4]
SABINE MORRISSO : Je crois que j’ai commencé à m’inquiéter le jour où Patrice R[Bip] Leupe et mon mari m’ont expliqué qu’ils préparaient un voyage interstellaire et qu’ils étaient en train d’installer une rampe de lancement au bureau. Je me suis dit : « cette histoire d’extra-terrestre déborde sur le bureau, ça va mal finir. »
CORINNE DEBLEUX : J’ai vu arriver dans la cour de l’école le papa de Gaspard vêtu d’une combinaison brillante surmontée d’un casque métallique doré, il faisait flotter derrière lui une grande cape d’un rouge criard, j’ai été très surprise.
SABINE MORRISSO : L’épisode de l’école est à relier à la lettre de licenciement que mon mari avait reçu le matin même. Mon mari faisait les frais d’une restructuration dans son entreprise, Patrice R[Bip] Leupe s’était fait licencier également, ainsi qu’un autre de leur collègue, et ç’a été le déclencheur de toute l’affaire.
CORINNE DEBLEUX : Le papa de Gaspard est entré dans la classe, il m’a expliqué qu’il s’appelait Wertonn, qu’il venait d’une autre planète et que le décollage était imminent… Et il a invité tous les enfants à le suivre dans la cour de récréation, pour leur montrer son vaisseau. Heureusement Gaspard dormait, je pense que ça aurait été très dur pour lui de voir son papa comme ça.
ANTOINE MORRISSO : J’étais Wertonn, je venais chercher mon fils, je voulais rentrer chez nous ! ramener Gaspard sur sa planète d’origine ! Et je vivais ça très naturellement. C[Extraterrestre5]
CORINNE DEBLEUX : Alors nous sommes sortis dehors, les enfants étaient surexcités, tout le monde voulait voir le vaisseau… Bien entendu, il n’y avait aucun vaisseau.
SABINE MORRISSO : J’ai reçu un coup de fil affolé de la directrice de l’école, je m’y suis rendue et j’ai retrouvé mon mari, assis dans la cour de récréation ; il m’a vu et il m’a dit qu’on lui avait volé son vaisseau spatial au bureau. Je l’ai ramené à la maison, et il a dû prendre un peu de repos, il était sonné, tout simplement.
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