Dans un premier temps, on va demander aux élèves de prendre connaissance de la pièce d’une façon très concrète, sensible et en particulier visuelle. On pourra ainsi, à partir de plusieurs exemplaires de la pièce, et éventuellement en mêlant Les Saisons de Rosemarie, leur demander de formuler les constats qu’ils peuvent dresser au travers de cette première « lecture », approchant le texte par ses seuils.
On va ensuite proposer aux enfants de formuler ce qu’ils ont vu en feuilletant la pièce : elle est fabriquée de plusieurs « fragments », pas de scènes, pas d’actes ! Ces fragments portent des titres qui reviennent tous, sauf Discours à la lune (p. 51) qui ne comporte qu’une seule occurrence. Ce sont :
Il y a donc deux fragments à part : le premier, non titré, et « DISCOURS À LA LUNE », le seul du genre, situé avant les deux derniers fragments JOURNAL. À partir de ces premiers constats, on proposera aux jeunes un petit travail d’écriture / analyse en deux temps, pour ensuite s’engager plus avant dans l’œuvre.
Consigne donnée aux élèves (ou à une partie d’entre eux si l’on diversifie les tâches) :
Après avoir compté les fragments, vous reconstituerez la « table des matières » que l’on pourrait appeler la « table des fragments ».
Table des fragments reconstituée
Quelles interprétations pouvez-vous donner à cette structure ? Qu’est-ce que cela évoque ? Est-ce du théâtre ?
C’est cette dernière question qui sera sans doute le point d’ancrage des réflexions des élèves, dans lesquelles on veillera à prévoir comment les faire travailler sur leurs réactions premières s’ils n’ont pas abordé de théâtre contemporain avant : « Mais non, c’est pas du théâtre, c’est un journal ! ».
Il faudra alors prévoir de leur faire découvrir, sous formes d’extraits, d’autres écritures théâtrales de leur époque, dans leurs premières pages (en mise en voix et / ou par la lecture). Citons ainsi :
On abordera ainsi des questions de fond, relevant de l’histoire des arts et plus précisément de l’histoire du théâtre, désormais au programme de primaire mais qui est aussi dans les programmes de la classe de Français et d’histoire en 6ème.
Le théâtre contemporain n’est pas constitué que de dialogues entre des personnages : c’était l’idéal esthétique de l’époque de Molière, formulée par l’Abbé d’Aubignac. Durant les deux siècles qui ont suivi, le théâtre s’est mis à rencontrer le roman, un genre qui s’est imposé, le tout en s’inventant une nouvelle relation au spectateur devenu de plus en plus un « regardant ». De toute cette évolution, le théâtre moderne et contemporain garde les traces, et l’écriture post-brechtienne mêle allègrement formes issues de la théâtralité classique, formes venues du récit et formes interdisciplinaires, venues d’autres arts. De ce fait, on peut avoir des fragments, de longs passages didascaliques, du monologue, ou encore une action éclatée, ce que Michel Vinaver appelle du « théâtre paysage » en opposition au « théâtre machine », deux notions qui, par leur côté imagé, peuvent être comprises par les enfants. L’enseignant intéressé pourra se reporter à l’ouvrage de Michel Vinaver, Écritures dramatiques (Actes Sud, 1993).
Alors, oui, Le Journal de Grosse Patate est bien du théâtre : même en fragments, même dans un rapport à l’action assez romancé et poétisé, la pièce repose sur une forte adresse : « qui parle à qui, où, comment ? ». Ces questions constitueront les consignes à proposer aux élèves pour leurs lectures et leurs réflexions plus approfondies.
Vous lirez la totalité de la pièce en cherchant les indices permettant de répondre aux questions suivantes : « Qui parle à qui, où, comment ? ».
Ce travail pourra être donné de façon complète ou bien distribué, en répartissant les fragments entre les élèves.
Pendant que les élèves lisent la pièce en entier, en lecture personnelle, on pourra procéder en classe à une « lecture-grapillage » consistant à poursuivre l’investigation entamée, mais sans qu’il soit nécessaire d’avoir lu toute la pièce. C’est aussi ce que l’on appelle une lecture en arche, par bonds successifs d’un fragment à l’autre, pour mieux rentrer dans l’œuvre, pour mieux en trouver les entrées, se les fabriquer.
On va guider à nouveau le regard des élèves en les menant sur le chemin de l’interprétation :
Consigne donnée aux élèves (collège plutôt)
Vous chercherez où l’on retrouve dans la pièce la référence à Cyrano de Bergerac, le personnage de fiction cette fois, dans la pièce de Rostand ?
Une fois leur lecture personnelle achevée, on pourra reprendre avec les élèves toutes les questions qui s’étaient posées concernant cette étrange composition de la pièce et cette étrange écriture théâtrale.
Consigne donnée aux élèves
Si l’on essaie de rapprocher l’écriture de cette pièce d’une autre forme artistique, à quoi pensez-vous ?
Pour aider les élèves, on pourra leur faire découvrir la mise en scène de la pièce par Patrick Ellouz et la compagnie du Réfectoire, à Bordeaux, que l’on peut découvrir sur le site de la compagnie, où on lira ceci :
La forme textuelle, courte, précise, incisive, offre un matériau idéal à une transposition théâtrale, à des formes contemporaines qui s’éloignent de la fable pour dessiner le paysage d’une enfance. La dramaturgie repose sur une actrice (Grosse Patate) et un acteur accordéoniste qui interprète le personnage de l’Homme en noir.
La musique qui est au centre de mon langage théâtral se mêle au corps du texte. L’accordéon, le parler, le parler chanté et les chants formeront le matériau sonore.
Philippe Cataix , chanteur, compositeur et interprète, a écrit en fonction des situations scéniques expérimentées lors des répétitions.
La place stratégique de l’acteur, les aspects contemporains de son jeu en y écartant toute psychologie, les postures dynamiques du musicien actant, la sobriété du dispositif scénique...
Et surtout dessiner un spectacle qui mise sur l’activité mentale et imaginative de son public, et en particulier du jeune public auquel nous destinons cette création
On expliquera ce texte, pour partie ou en entier selon les âges, et l’on gardera l’essentiel : la présence d’un accordéoniste, qui joue L’homme en noir, et la relation de cette pièce à la musique.
On pourra alors en arriver à la conclusion que la pièce Le Journal de Grosse Patate est écrite comme une partition musicale. Avec les plus grands, on parlera de l’esthétique musicale qui a touché le théâtre, surtout depuis Wagner à la fin du XIXe, et qui n’est pas la même chose que la présence de musique dans les spectacles du XVIIe… On précisera aux élèves que l’époque de Wagner est celle où l’on fait le noir dans les salles, en donnant ainsi au spectateur une place qu’il n’avait jamais eue, celle de sa propre créativité, en parallèle avec le développement de nouveaux moyens techniques que permet l’électricité.
La musicalité de la pièce ouvrira la piste des travaux de mise en voix, au pupitre.