Pour poursuivre la réflexion menée sur l’apparent mutisme d’Abel qui ne répond pas à son frère Jo trop sonné par les injures et les intimidations, cette petite pièce de théâtre offre une belle perspective car elle est centrée autour de l’idée que la parole permet justement de vivre ensemble. C’est une pièce chorale qui réfléchit sur la portée des mots et sur le sens que l’on peut donner aux silences sans tomber dans les clichés : le silence face à des choses qu’on entend et qui peuvent nous vexer, nous blesser n’est ni un apparent détachement, ni un repli sur soi. C’est autre chose
Ce texte peut servir de matériau pour appréhender et compléter l’univers de la pièce notamment par rapport aux souvenirs de vacances et aux séquences estivales. Dans ce texte, Michel Butor évoque ces sensations d’enfants face à la nature et aux jeux en montrant déjà quelques éléments inquiétants venus de l’extérieur et qui perturbent l’apparente harmonie de ce lieu protégé. Le texte de Ronan Mancec fait écho à ce travail poétique en montrant une certaine évolution vers un verger d’adolescence en quelque sorte qui montre un rapport à la nature beaucoup plus angoissé et un délitement de l’innocence enfantine déjà consommé.
Ce cahier autobiographique écrit pendant les années lycées de l’écrivain explore davantage le désir amoureux et le rapport à l’autre. Olivier Py y décrit ses fantasmes et ses fantasmagorie en révélant parfois des parts de souffrance qui ne sont pas le fait de remarques homophobes mais d’une recherche permanente de soi et d’absolu. Si la pièce de Ronan Mancec évoque cette thématique en filigrane en montrant comment le personnage d’Abel âgé de 13 ans s’interroge sur le rapport amoureux, et ne sait pas vraiment si Achille l’aime en retour malgré les petits signes d’acquiescement qu’il a reçu, le cahier d’Olivier Py fait de ce questionnement sur le rapport amoureux, une recherche insatiable, lumineuse et acharnée : « Si on ne fait pas de littérature avec de bons sentiments on n’en fait pas non plus avec des mauvais, on en fait avec des mots. Mais les mots sont comme des êtres et ils peuvent être blessés dans le cœur d’un homme comme dans le destin d’un peuple » (p. 176). C’est une sorte de dialogue et d’échanges avec ses amants où le jeune homme est toujours comme étouffé par ses ambitions et ses désirs au point de s’anéantir et de se consumer.
Dans ces deux pièces, l’auteur évoque des rapports familiaux éreintés par des non-dits, des drames familiaux racontés avec la pudeur d’un poète qui n’abandonne pas l’espoir de dépasser la honte et l’humiliation originelle qu’il éprouve, d’abord parce qu’il aimait les hommes aux yeux de sa famille. La description des faits précis lui appartient et au fond elle importe peu, ce n’est pas le geste autobiographique tout comme dans le Gardien de mon frère qui est le point central de ces deux pièces. Le plus important est dans le souvenir qu’il en donne au lecteur, un souvenir qui est toujours une forme de rédemption, qu’il traduit dans son écriture furieuse de silence et d’apaisement. Ces deux pièces sont profondément théâtrales comme si un être était capable d’interagir avec sa propre voix, dans un dialogue éternel avec ses souvenirs. Cela fait écho au personnage d’Abel et à toutes ces voix qui l’acculent, le jugent et le rejettent, et il n’y a qu’au théâtre qu’on peut faire cela. Cette dimension est très forte dans Stonewall écrit récemment, où l’auteur évoque les phrases assassines prononcées par son père, phrases qui font écho à la rage destructrice de Jo dans le Gardien de mon frère. Stonewall se double d’une dimension politique en évoquant le choc provoqué par des crimes et des massacres homophobes. Ces traumatismes sont cependant traversés par l’espoir suscité par des manifestations historiques ou des figures iconiques qui ont permis et permettent de défendre les droits des communautés LGBTQ.
Ce texte actuellement au programme de français des classes de première pour le parcours « crise personnelle, crise familiale. ». Il raconte l’histoire d’un homme, nommé Louis, qui retourne dans sa famille après des années d’absence pour annoncer qu’il est atteint du sida et qu’il va mourir bientôt. La pièce montre les dissensions très fortes qui s’opèrent dans cette famille et Louis repartira sans avoir annoncé la nouvelle de sa mort. Si la pièce est maintenant un classique, c’est parce qu’elle montre un homme qui a choisi de vivre sa vie en dehors des carcans familiaux sans jamais révéler quoique ce soit de sa vie privée et de son orientation sexuelle. La réécriture ou plutôt le tuilage de Juste la Fin du Monde dans Le Pays Lointain est pénétrante car elle fait intervenir les amants de Louis, et raconte quelque chose d’une errance amoureuse et d’une solitude essentielle. Les personnages de Louis et d’Abel dans le Gardien de mon frère ont ceci de commun qu’ils écoutent et ne répondent pas aux reproches ou aux brimades de leurs familles. C’est aussi une pièce sur la thématique des frères ennemis et chose intéressante à relever, Abel et Louis témoignent tous deux de gestes ou de paroles d’affections à leur frère, et ce malgré les tensions et sont violemment rejetés. La pièce est d’abord forte parce que contrairement à Abel qui arrive à s’imposer, Louis ne se raconte pas et ne fait que se mentir à lui-même, impuissant à véritablement communiquer avec les siens. La pièce est aussi composée dans un dispositif choral qui fait intervenir différentes voix chargées de venir raconter la vie de Louis comme Abel raconte et échange avec la bande d’ados sur le traumatisme vécu. Louis souffre d’une incompréhension et d’une incomplétude entre lui et les membres de sa famille qui l’ont mené à perdre peu à peu le contact, mais certaines répliques de Jo dans le Gardien de mon frère font écho à celle d’Antoine, « le frère ennemi » dans les pièces de Jean-Luc Lagarce. On reproche surtout à son frère de faire ses propres choix, ce qui lui conférerait une aura dans la sphère familiale parce que ce qui effraie avant tout c’est la liberté. On jalouse l’autre en quelque sorte parce qu’il nous paraît plus épanoui, bénéficier d’un regard plus bienveillant de la part des autres membres de la famille. On en revient aussi à comparer les deux textes car les deux frères Antoine et Jo éprouvent une sorte de colère sourde et parfois dévastatrice qu’ils ne contrôlent pas et regrettent ensuite la violence inouïe de leurs propos.
La pièce fait écho au Gardien de mon frère en ceci qu’elle évoque l’homophobie de façon plus large. En voici la quatrième de couverture : « Ogres propose un voyage au cœur de l’homophobie, aujourd’hui dans le monde. De la France à la Russie, de l’Ouganda à l’Iran – en passant par la Bulgarie, l’Afrique du Sud, le Cameroun, la Grèce, le Brésil, la Roumanie, la Corée du Sud, les Pays-Bas – ce texte dresse un état des lieux d’une discrimination qui exclut socialement, qui tue directement ou indirectement, qui existe sous toutes sortes de formes et dont toutes les formes provoquent douleurs et souffrances. »