a. Expressionnisme et symbolisme
On reviendrait sur l’expressionnisme dans un premier temps par l’inventaire des passages restés en mémoire.
On proposera ensuite une lecture à voix haute de passages expressionnistes, extraits des répliques d’Anna, choisis par chacun :
En effet, la langue poétique de Jean-Pierre Cannet demande qu’on en éprouve le sens et la force, en « faisant chanter la langue ». Ainsi les visions d’Anna enfant en seront-elles révélées. On demandera de préparer la lecture avec le souci de projeter le texte de le « pousser devant soi », de faire entendre chaque mot, sans se soucier d’une interprétation ; il ne s’agit pas de jouer mais de dire. Pour cet exercice à conduire dans l’espace, on s’inspirera de ceux proposés dans les deux autres parties de ce carnet.
Voici quelques extraits pour ceux qui ne trouveraient pas de passage : p. 15 (« A la maison… »), p. 20 (« tellement sale… des trains, Arthur ! »), p. 29 (« Effrayant les mouettes… Au fond d’un puits »), p. 32 (d’arbre en arbre… saisissante), p. 33 (« Sa cage… sans voir le jour »), (« il avait cette bouche… ses yeux de la nuit »), (« Le jeune soldat… il les aurait jetés dans le Danube »), p. 41 (« le ciel… paupières »), p. 42 (« Et Monsieur… sur le ventre »), p. 46 (« C’était un boulevard bleu… Notre maison. »), p. 48 (1ère réplique à partager en deux), (« Mais ils… plus qu’un »), p. 47 (« peu à peu… poids du ciel ? »).
Ce serait le moment d’évoquer l’expressionnisme en art, notamment la peinture d’Édouard Munch Le Cri que l’on pourrait, pensant au regard d’Anna la petite Danube, accompagner de cet aphorisme de René Char tiré de Feuillets d’Hypnos, carnets écrits dans le maquis : « Les yeux seuls sont encore capables de pousser un cri ».
On pourrait procéder de même pour la mise en valeur des seules phrases contenant des comparaisons et pointer à ce moment-là les autres nombreuses figures de rhétorique (métaphore, personnification, alliance de mots, anaphore, …)
Travail d’écriture :
Titrer chaque séquence de trois manières différentes, par un titre objectif, deux titres subjectifs allant vers l’expressionnisme (l’un reprenant une expression du texte, l’autre exprimant un jugement moral dans les mots de l’élève).
Puis on reviendra à un travail à la table pour préciser que cet expressionnisme s’appuie sur des symboliques :
- l’imaginaire collectif symbolique de cette période historique : la voie ferrée, les cheminées des camps, le pyjama rayé des déportés, les yeux qui mangeaient leur visage, l’entassement des chaussures, les gants et la cravache. « L’éternité » de la déportation plutôt que le documentaire. Imaginaire sur lequel l’illustrateur Edmond Baudoin a joué.
- le symbolisme des paysages : la maison de garde-barrière à la croisée de deux chemins, deux voies…
La voie ferrée : sa noirceur, sa froideur métallique, « chemin » du Père par sa profession et de l’Interprète quand, ayant changé de camp, il y traîne le jeune soldat au galop. À leur propos comment ne pas penser à cet autre aphorisme de René Char : « Il existe une sorte d’homme toujours en avance sur ses excréments » (ibid.)
La voie fluviale, Le Danube : double symbolique du fleuve et de l’eau (voir articles dans Dictionnaire des symboles de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant).
- le fleuve sacralisé et rassembleur : p. 10 « grand Danube », grand comme un grand personnage ; « notre fleuve à tous » (tous de cette Europe centrale de l’Allemagne au Bosphore ; tous de ce village, donc Roms aussi…) « inlassable témoin de nos joies et de nos tourments ». Le fleuve de la vie par lequel Anna est née à la communauté humaine villageoise en ce rituel de son nom crié par dessus les eaux « tumultueuses » célébré par le Pope.
- l’eau purificatrice du baptême d’Anna que l’on retrouvera p. 21 lorsque Anna lavera Arthur dans ses eaux. À partir de ce « baptême » d’Arthur, celui-ci naît à la vie par le Danube : « Oui il y avait quelqu’un dans la veste de pyjama rayée… ». Anna et Arthur, figures de l’innocence, les purs, appartiennent au Danube, comme toutes les victimes de l’extermination qui vont réapparaître, à la fin, dans ses eaux gelées. Les « bourreaux », eux, sont de la voie ferrée.
Le filage du symbole est clair dans la scène finale à l’expressionnisme fantastique d’une grande force et d’une grande beauté : la séquence 5 s’ouvre sur la bénédiction du fleuve par le Pope qui a baptisé Anna : « Dès que le fleuve est gelé c’est le même cérémonial. ». Le fleuve est alors associé à la symbolique du sang, eau de la vie, contre les puissances de mort. Les morts innocents de l’holocauste continuent eux à vivre sous la glace du fleuve (le texte reprend ici la symbolique du fleuve des morts, celle des morts qui, faute d’avoir été honorés, sont condamnés à errer éternellement, ne pouvant passer sur l’autre rive : « les morts nous reviennent, ils ne savent pas où aller, alors ils nous reviennent » ; double sens du verbe revenir : ils reviennent sous les yeux de la mère, ils nous reviendront à la mémoire indéfiniment). « L’eau humanise la mort » (Gaston Bachelard, L’Eau et les Rêves).
Alors le Danube protecteur des purs s’associe à eux pour engloutir Le Père et la Mère : « Était-ce la glace qui craquait, était-ce le poids du ciel ? ». Double interprétation propre au genre fantastique entre le naturel et le surnaturel. Anna dit d’ailleurs « j’ai cru voir » et non j’ai vu. (Voir plus loin Mise en jeu de la séquence finale)
- l’eau qui fait naître Anna à la volupté féminine lorsqu’elle entre dans les eaux, qui ne l’engloutissent pas, Arthur à la main : « Malgré mon jeune âge, le fleuve a dû me reconnaître. Il m’a laissé faire lorsque je me suis glissée en lui, des genoux jusqu’aux cuisses. Quand j’ai relevé ma jupe et qu’une folie m’a prise comme l’illusion de devenir une femme, une mère peut-être ? » Personnification magique du fleuve. Avec les plus vieux, on fera approcher une lecture psychanalytique de ce passage. Voir L’Eau et les rêves.
Ce sera le moment d’interpréter le choix du titre d’abord insolite : La Petite Danube.
- la figure symbolique d’Arthur autour duquel va se focaliser le cœur de la trame narrative mais aussi « le choix d’Anna ». (Point traité plus loin dans Mise en voix)
On pourrait évoquer également le symbolisme des actes qui jouent eux aussi en opposition : Anna lave Arthur / Le Père astique son fusil ; Anna donne à Arthur la veste trouvée dans le jardin / Le Père récupère et vend les chaussures des disparus des chambres à gaz ; Le père fait le salut hitlérien Arthur salue les arbres etc.
b. Face à la compromission morale : exercer le dur métier d’Homme
Demander de lister tous les actes de compromission du père et de la mère, en montrer la gradation et les opposer à ceux d’Anna. Rechercher le lexique de la vilenie présent dans les jugements d’Anna, ajouter ceux qui manquent, liés à cette période historique et en général.
Établir un parallèle avec ce qui aura été étudié en Histoire concernant l’attitude des Français vis-à-vis de l’occupant allemand : la Résistance, la collaboration et tous les stades intermédiaires, pour ne pas en rester au jugement toujours facile hors contexte (eux étaient des salauds, nous aurions été des héros).
Pour mettre les jeunes en situation de réagir, reprendre la scène p. 23 d’« Anna : Je me souviens que » à la p. 25, pour trouver un comportement digne et moral dans ce même contexte risqué.
- soit par un travail de réécriture de la scène, présentant une attitude sans collaboration ni compromission (en conservant les répliques ou phrases qui pourraient l’être) ;
- soit, si on a la capacité ou l’aide d’un professionnel, organiser un travail d’improvisations successives à la manière du Théâtre Forum d’Augusto Boal, particulièrement adapté dans ce cas.
La lecture de certains sketches de Grand-peur et Misère du IIIème Reich de Bertolt Brecht pourrait prolonger ce travail, notamment les sketches La Délation et Le Vieux militant.
Autres approches envisageables :
- donner à lire Les Feuillets d’Hypnos de René Char parus en Folio Plus classique (avec des lycéens de 1ère littéraire dans leur intégralité, avec des 3èmes dans une sélection. Expérience faite, même des collégiens, qui ne saisissent pas toutes les fulgurances, sont sensibles à cette exigence morale et la perçoivent). Ceci pour sélectionner les aphorismes qui pourraient s’appliquer aux personnages du Père de la Mère et de l’Interprète (éventuellement à Anna).
- Se risquer à mesurer tous les stades de réactions possibles ou observées dans des situations d’actualité nationale ou internationale, parce que selon la résistante Lucie Aubrac : « Résister se conjugue au présent » ?