Vous pouvez lire ci-dessous quelques « scènes fantômes » de Gaby et les garçons. C’est-à-dire, des passages qui ont été supprimés par l’auteur lors de la finalisation de son texte.
À votre avis, pourquoi ces scènes ont été mises de côté dans la version finale de la pièce ?
CÉDRIC.- Tu veux toujours que je vous montre ma cachette secrète ?
CLOVIS.- Quoi ? Tu veux me saucissonner et puis me faire souffrir avec des braises sur le zizi ?
C’est ça ?
Je sais que tu la veux
Gaby
Mais bon
Moi et Gaby c’est pour la vie
Il lui faut un homme intelligent
CÉDRIC.- Tu fais combien à la dictée ?
CLOVIS.- C’est mon quinzième bon point
CÉDRIC.- Ah oui
CLOVIS.- Je suis à ça du poster
Maman dit que j’ai pas la cervelle de mon père
Et que c’est tant mieux
Papa dit que c’est tant pis
À mon âge j’ai déjà lu trois livres d’Hector Hugo
Tous les Twilaïtes pour faire la conversation aux filles tu peux pas test’
Et en ce moment je m’attaque au fondamental
50 nuances de gris
C’est ultra cochon
Pire que quand la grosse cantinière elle oublie de mettre un soutif
Tu peux pas test’
Moi et Gaby c’est
Clovis mime un lien inaltérable
CÉDRIC.- C’est ça
Fais gaffe à monsieur Tracard
Depuis qu’il est veuf il aime pas les amoureux
CLOVIS.- Ah non pas Tracard le Tocard
Déjà qu’à l’école il m’intostique avec ses cigarettes
T’as vu la mine qu’il a ?
CÉDRIC.- Comme une crème aux marrons
CLOVIS.- Papa dit que c’est un pied noir
Personnellement je trouve ça dégueulasse
Il devrait se le faire enlever
CÉDRIC.- Comme Louis quatorze
Il ne se lavait jamais le soir
CLOVIS.- Ni le matin
Je sais j’ai lu toute sa vie dans un Ça m’intéresse
CÉDRIC.- Et qu’aussi il faisait caca devant ses courtisans
CLOVIS.- Ses courtisans ?
CÉDRIC.- Ses fans
CLOVIS.- Ah oui
Comme les filles avec les acteurs
CÉDRIC.- Et qu’ils faisaient des commentaires en buvant du chocolat dans des coupes à champagne
CLOVIS.- Faut être cinglé quand même
CÉDRIC.- (faisant le fan de Louis XIV sur la selle)
Quelle merde merveilleuse je prévois pour ce matin
Allez-y généreux mon bon roi poussez
CLOVIS.- Je pousse je pousse je pousse cher lèche-bottes
Mais nom de Dieu quand tombera t-elle cette crotte ?
CÉDRIC.- Madame je vous prie développez tous vos talents
Que l’on puisse offrir un caca à la centaine de ces gens
CLOVIS.- Je crains que votre épouse ne puisse y pouvoir quoi
Ce serait comme essayer de chier un gros rondin de bois
GABY.- Monsieur mon roi sentez ici sentez profond
Cela s’appelle du café on le dit bon pour les étrons
CLOVIS.- Ah déjà hier une trentaine de fans partirent d’ici
Fâchés d’avoir attendu plus d’une heure et demi
GABY.- Sentez monsieur mon roi sentez et lâchez tout
CLOVIS.- Je suis désapponté et je sens que j’abandonne
CÉDRIC.- Ayez confiance en cette potion
CLOVIS.- Je deviens fou
CÉDRIC.- Je réponds de mon épouse qui est bien bonne
CLOVIS.- C’est vrai
GABY.- Reniflez et vous
Qu’on l’encourage
CLOVIS.- Oh je pense que j’atteins l’âge
Repoudrez mon gros piffe je vous prie
GABY.- N’abîmez pas le café mon tendre ami
CLOVIS.- Heureusement ce n’est pas une course
Cédric s’exécute
GABY.- Buvez maintenant et tout ira comme une source
CLOVIS.- Je les sens qui attendent
CÉDRIC.- (à l’assistance)
Le roi se concentre
Il veut nous faire bien du plaisir
CLOVIS.- À vingt ans on est vieux on commence à mourir
GABY.- Vous sentez ce que cela fait ?
CLOVIS.- Nom de ma race je le sens qui se lance
Si fait c’est bien fait ce café
CÉDRIC.- Allons mes amis silence silence
Le roi va faire
Le klaxon d’un semi-remorque les expulse de leur jeu, qui passe à côté d’eux et vire vers sa destination marchande.
GABY.- Cédric s’est noyé
Il est vraiment mort cette fois
Quelque chose fait taire toute chose pendant un moment.
CLOVIS.- Je reviens
GABY.- Clovis est revenu au bout de quatre heures et quarante-sept secondes
Il était parti se renseigner au village
Voir si on avait vu un mort se promener en sifflant
Voir si on avait vendu des carambars ou des couilles de mammouth à un mort
Voir si on avait disputé un mort pour avoir regarder avec trop d’insistance les mannequins en forme de filles avec des gros seins plastique dans la vitrine de la coiffeuse-visagiste
Voir si on n’avait pas confondu le mort avec un vrai mort
Voir si on l’avait vu lui
CLOVIS.- La cacahuète
GABY.- Cédric Cruise
CLOVIS.- Mais tous arrêtaient pas de dire
"Cédric est mort noyé dans la piscine municipale"
GABY.- C’est pas une blague
CLOVIS.- Non c’est même écrit dans le journal qu’ils m’ont dit
Clovis tend une feuille de journal chiffonnée à Gaby, qui en résout l’origami et la lit.
GABY.- Un drame est survenu hier après-midi à la piscine municipale de Gardonne : un jeune garçon de dix ans et demi, Cédric Gamenez, résidant à Prigonrieux, a été retrouvé sans vie après avoir passé près de vingt-cinq minutes sous l’eau selon des camarades qui l’encourageaient dans ce qui semblait devoir constituer un défi sans conséquence avant de se muer en drame inqualifiable.
"Il nous avait montré la grosse horloge au-dessus du maître-nageur et il avait plongé à la verte, déclare un témoin de la scène, il paraît qu’il est resté là-dessous vingt-trois minutes et quinze secondes." Un autre affirme que : "Cédric était fort, il a battu tous les records de l’école ; je comprends pas ce qu’il s’est passé." Pendant qu’une jeune fille, abattue, bafouillait : "C’est bizarre, en plongeant il m’a dit de ne pas regarder la grosse montre au-dessus des maître-nageurs, que ça ne suffirait pas à son talent (…)" À cet instant, la thèse de la noyade par accident est privilégiée mais une enquête de proximité visera à confirmer ou non cette hypothèse.
Alors jeu innocent ou acte insensé ? Le docteur Jean-Yves Joyeux, de la cellule psychologique mise en place pour les familles, livre quelques éléments de réflexion, plutôt alarmants :
"Malheureusement nous vivons dans une société soumise de manière égale à une compétition banalisée entre les individus et un désenchantement général de l’idée de bonheur ; deux éléments qui nous forcent à constater la diffusion et la pérennisation, chez beaucoup de jeunes notamment, d’activités dangereuses, qui nous apparaissent comme autant de facteurs d’un drame à venir, à plus ou moins long terme. Des gorges que l’on serre à l’aide d’un foulard, des mains que l’on se frappe jusqu’au sang, des apnées poussées comme ici à leur extrême limite, témoignent tous d’une précarisation spirituelle des jeux d’enfants que l’on ne peut guère aujourd’hui taxer d’innocents, de mignons, d’indolores. Force est de constater que l’enfant lui-même cristallise les signaux d’une déréliction, d’un effondrement patent de tout un système."
CLOVIS.- Moi je ne l’ai pas vu Cédric mort
Alors hein
GABY.- Qu’est-ce qu’ils parlent bien les grands quand même
CLOVIS.- Moi je trouve qu’ils se la racontent les journalistes
GABY.- C’est vrai qu’on ne comprend pas grand-chose
CLOVIS.- C’est quoi une délériction ?
GABY.- Une sorte de glace à la crème je crois
CLOVIS.- Une glace qui coule alors
GABY.- Ils auraient pu dire comme maman
Que tout fout le camp dans le monde et puis voilà
CLOVIS.- Tout va à vau-l’eau par ici
GABY.- C’est la merde ma fille
CLOVIS.- C’est le caca d’oie petit
GABY.- Ils ne parlent même pas plus que ça de Cédric
C’est comme si c’était déjà une croix dans le cimetière
CLOVIS.- Papa il dit que les journalistes c’est comme les docteurs
Ça te renifle toujours les fesses pour savoir comment tu vas pas bien
Gaby commence à brûler le journal qui finit, consumé, dans la bassine d’eau fraîche.
CLOVIS.- Mon papa il a pas la tête toute neuve
Mais devant la télé elle fonctionne à merveille
GABY.- (à la manière incantatoire)
Ces cendres de papier sont pour toi Cédric
Que tu puisses marcher dessus comme sur des nénuphars
Les manger car elles sont pleines de mots ou t’en faire des pantalons de cascadeur
Parce que là où tu vas Cédric on ne sait pas
À quel point il peut faire froid
CLOVIS.- Ou chaud
Peut-être que là où il est allé il fait plutôt chaud
Peut-être qu’il est mort jusqu’en Martinique
GABY.- Maintenant où tu crois qu’ils l’ont emmené ?
CLOVIS.- Dans une morgue Gaby
GABY.- Où ?
CLOVIS.- Là où on découpe les cadavres pour voir qui les a assassinés
GABY.- Mais Cédric est mort par asphyxie
CLOVIS.- C’est bien ce que je te dis
Il y a des docteurs avec des pinces et des pelles à dents qui vont l’occulter
GABY.- Ils vont le mettre dans un cercueil et l’allonger à côté des morts
CLOVIS.- Dommage
J’aurais bien aimé qu’ils lui ouvrent le ventre
Je suis sûr qu’il est plein de peaux de cacahuètes
GABY.- Et puis ils vont pleurer pendant quelques jours
Juste assez pour que la douleur elle s’échappe de l’estomac
CLOVIS.- Moi j’ai jamais pleuré
Sauf quand j’étais bébé
Mais ça c’est parce qu’on m’essuyait le cul avec des lingettes qui piquent
GABY.- Il faut qu’on le trouve et qu’on lui rende la montre
CLOVIS.- Vingt-trois minutes et quinze secondes
C’est un record national ça
GABY.- International
GABY.- Alors avec Clovis
On s’est mis à faire la tête comme les grands
À mettre des vêtements sombres des visages gris des bras qui tombent
C’est drôle on ne voyait plus Cédric faire des records ou parler peu
Mais on y pensait comme s’il était encore en train de le faire
On avait son fantôme avec nous pour ainsi dire
Du coup on pleurait moins que les grands
Qui eux le connaissaient moins et avaient sur lui des idées vagues
C’est grave Clovis qu’on pleure moins que les parents ?
CLOVIS.- Les grands pleurent pour un oui pour un non
Mon père a chialé quand on a failli regagné gagné la coupe du monde
Il faisait peur à voir je te jure
La deuxième fois c’était quand je suis né il paraît
Maman m’a dit que c’était parce qu’il se souvenait de comment ça avait été dur
De me concevoir
Papa et Maman n’ont jamais vraiment
Enfin tu vois
GABY.- Baisé ?
CLOVIS.- Ouais ahah
GABY.- Il faut que j’y aille là
CLOVIS.- Ouais
GABY.- Tu vas pleurer toi ?
CLOVIS.- À moins qu’on me passe une lingette qui pique sur les yeux
Je ne pense pas non
GABY.- Moi non plus
CLOVIS.- Tu sais à quoi ça ressemble un mort ?
GABY.- Non
CLOVIS.- imitant un mort
À nous
Clovis sort en ricanant étrangement
GABY.- On s’est revu c’était Halloween
Clovis s’était trouvé un déguisement d’arracheur de bras
CLOVIS.- Avec la tronçonneuse ensanglantée le filet à têtes coupées et la cuillère à zyeux
Sous ma cape j’ai des rapières aiguisées comme des dents de requins et des boules collantes
Des boules irritantes des boules explosantes
Des pièges à orteils des vesses-de-loup un piquet de vigne où il reste encore des pointes
Mais ma botte secrète c’est mon GPS à repérer des couillons
GABY.- Moi j’avais beaucoup mieux
CLOVIS.- Ultra moderne
Pourquoi t’as rien toi ?
GABY.- J’avais le fantôme de Cédric qui me tenait la main
CLOVIS.- Ma mamie dit "Les fantômes sont un passe-temps de Dieu"
GABY.- Je crois pas en Dieu je suis aniostique
CLOVIS.- Ma mamie croit plus en Jésus qu’en Dieu mais bon
Elle engueule encore papy qui est mort en 1999
GABY.- C’est quoi cette tache à la joue ?
CLOVIS.- Du maquillage
Ou de la boue
GABY.- Ah oui ?
CLOVIS.- Quoi ? Je me suis battu avec les chats
J’ai pas le droit de me battre avec mes chats
GABY.- Menteur
CLOVIS.- Mouais
C’est la main de papa qui s’est perdue en route
C’est maman qui le dit
Le moteur du réfrigérateur de la maison réveille Gaby ; fin de l’épisode 46 de Mission ? Impossible ; fin du songe. Gaby déambule dans le noir avec une luciole en plastique, passe au salon où ronfle le chat, à qui elle donne une caresse, se dirige vers une armoire sans faire de bruit, pour prendre dans un des tiroirs un petit carnet et une trousse ; elle repasse dans sa chambre, où, par allongée, elle se met à écrire quelque chose.
GABY.- (énonçant ce qu’elle écrit)
Cédric il a trois cœurs qui poussent sous sa poitrine
C’est pour ça qu’il est si super fantastique
Le premier cœur c’est pour sa vie
C’est le plus banal parce que moi aussi j’en ai un
Clovis Poux en a un
Tout le monde en a un comme lui il a
On l’appelle le cœur électrique
C’est celui qui pourrit quand on fait plus de sport
Ou qui fait mal quand on s’inquiète ou qu’on fume comme Tatie Huguette
C’est fait avec de la viande et des vis
Il faut le taper s’il veut plus fonctionner
Le deuxième cœur c’est pour les records
C’est lui qui prend le relais du premier
Quand Cédric se trempe la tête dans la bassine
C’est un peu plus rare
C’est le cœur olympique
Il est foutu comme un mollet de judoka
Des trois c’est le plus mastok
C’est sûr
Si tu te cognes dessus ça te fait une bosse
Il faut faire attention
Parce que le cœur des champions c’est du béton
Et il y a un troisième cœur
Lui c’est le plus important
Un plus petit qu’on connaît moins
C’est le cœur pour les sentiments
Il est tout fragile
Parfois il craque comme le fauteuil en osier
Il est petit à peu près de la taille d’un bourdon
Parce que pour l’instant
Cédric a de petits sentiments
Pour moi
C’est un cœur fait pour moi en fait
Et quand il aura bien grossi son petit cœur
Ça voudra dire qu’il aura pris des sentiments
Des sentiments pour moi
C’est ce cœur-là qui m’intéresse le plus du coup
C’est le cœur romantique
C’est pas le plus costaud des trois
Mais c’est de loin le plus sauvage
Demain je demande à Cédric de m’embrasser avec la langue
Gaby range méticuleusement son carnet dans une boîte qu’elle glisse sous son lit. Puis elle branche une cassette d’où se joue une musique sirupeuse, parfaite pour les cœurs en guimauve, du genre hip hop sentimental de radio-poubelle.
CLOVIS, arrivant la clope au bec, l’allure très empruntée, s’arrête devant la pierre tombale et lit :
"À Cédric Notre Amour
Champion des petits garçons
Papa et Maman pour le reste du temps"
Tic tac Gaga
Le temps passe trop vite
GABY.- T’es con Cloclo
Un instant
CLOVIS.- Clovis
Tu as du feu
Gaga ?
Je commence à fumer
GABY.- Ben non couillon
CLOVIS.- Ah
Bon ben je commencerai demain alors
T’as pleuré ?
GABY.- Ben toi aussi hein je te ferais dire
Un instant. Gaby ne peut pas retenir ses larmes, qui coulent jusque sur ses mains
GABY.- T’es chiant Cloclo
CLOVIS.- Moi c’est Clovis
Roi des Francs
Et j’ai pris trois centimètres en trois mois
Clovis se rapproche brutalement de Gaby, qu’il embrasse sans délicatesse. Celle-ci le gifle carrément
GABY.- Tu vas pas bien toi
T’as mis ta langue
CLOVIS.- C’est pas moi je te jure
C’est Cédric
Un instant ; la tondeuse persiste entre les rangs de fleurs, dans les allées, autour des pierres mortuaires, des hirondelles avivent cette fin de journée ; soudain la tondeuse pétarade et gronde ; Gaby et Clovis s’enfuient en riant.