Carnet artistique et pédagogique
En mêlant le théâtre à l’épistolaire, Joël da Silva et Françoise Pillet ont fait de leur œuvre un outil littéraire fertile à une réflexion sur la notion de genre littéraire. Ainsi, comme il est demandé aux élèves de 6e de savoir identifier les principaux genres littéraires et d’en repérer leurs caractéristiques majeures on peut, sur une grande feuille de papier ou au tableau, tracer deux colonnes qui auraient pour titre “théâtre” et “genre épistolaire”. Sous forme de travail collectif, on peut ainsi demander aux enfants de mettre dans la colonne destinée au théâtre toutes les caractéristiques qu’ils connaissent ou pensaient connaître de ce genre et faire de même dans la colonne dédiée au genre épistolaire. En parallèle de ce travail, on peut en profiter pour expliciter le vocabulaire nouveau comme “didascalie”, “épistolaire” ou “scène”. Une fois ce travail de classification fait, on peut revenir à la pièce Émile et Angèle et reprendre, une à une, chacune des caractéristiques nommées par les élèves pour voir si elles s’appliquent bien à la pièce étudiée.
Ainsi, pour nommer quelques exemples, si dans la colonne théâtre, les élèves ont mentionné le fait qu’il doit s’agir d’un texte dialogué, on peut leur demander si c’est vraiment le cas dans la pièce étudiée. Idem pour le genre épistolaire, s’ils ont mentionné le fait que cette dernière doit respecter plusieurs conventions, on pourra leur demander si dans la pièce, ces conventions sont toutes bien respectées et si non, dans quelle mesure ces conventions sont déformées.
En guise de bilan à cet exercice, on peut faire ainsi remarquer aux enfants que les genres littéraires ne sont jamais cloisonnés sur eux-mêmes et qu’il est possible que ces derniers s’interpénètrent pour donner naissance à des formes littéraires hybrides.
Tout au long de la pièce, Émile et Angèle utilisent différents moyens pour communiquer l’un·e avec l’autre. Il et elle ne se limitent pas au simple support lettre. On peut ainsi inviter les élèves à décrire les différentes situations d’énonciation et donc à nommer les différents moyens de communication utilisés par les deux protagonistes, à savoir la lettre, le fax, le courriel et le coup de téléphone. À noter au passage que la pièce progresse du moyen de communication le plus lent au moyen de communication le plus rapide. Il est tout à fait envisageable de demander aux élèves de formuler leurs interprétations quant à ce choix. De plus, on peut leur proposer d’imaginer à l’écrit une conversation Messenger entre Émile et Angèle pour faire suite à cette réflexion sur les moyens de communication.
À la suite de ce travail, on peut leur formuler une série de questions, notamment ce que selon eux et elles ces variations de moyens de communication apportent à la relation entre les deux protagonistes, et comment ces derniers influencent leurs relations. On peut notamment insister sur leur rapport différent au temps, plus ou moins élastique d’une correspondance à un autre.
Pour prolonger cette question, on peut aussi effectuer une étude comparée de la lettre n° 5 (p. 16-17) et de la scène téléphonique (p. 54-56).
La lettre n° 5 apparaît en effet comme une lettre assez dense où Angèle ne parvient plus à faire le tri dans sa tête pour savoir ce qui est important et ce qui ne l’est pas. On peut notamment profiter de cette lettre pour expliquer quelques figures de style et leur fonction, comme la personnification (l. 4-7 : “La pensée, tu vois de quoi je parle ? Cette grosse dame qui met en ordre tout le fatras d’idées qu’on se trimbale dans la tête”) ou l’énumération, marquée dans cette lettre par la conjonction de coordination “ou” sans cesse remise à la ligne. On peut aussi faire une étude rythmique de la lettre en insistant sur la ponctuation forte qui entraîne une variation dans les rythmes des phrases et peut évoquer l’idée d’un certain foisonnement des idées. À la suite de cette analyse, on peut se pencher sur le coup de téléphone, qui apparaît comme moins dense avec des énoncés beaucoup plus phatiques (terme que l’on peut, si on le souhaite, expliquer en classe) et un rythme soutenu grâce à la figure de la stichomythie, terme que l’on peut également définir en classe.
Cette étude comparée peut amener à plusieurs questions bilans, notamment celle de savoir, parmi ces outils de communication utilisés, lequel permet à Émile à Angèle de se rapprocher et lequel, au contraire, a pour effet de les éloigner ? Auraient-ils et elles parié là-dessus avant de lire la pièce ?
Françoise Pillet et Joël da Silva, profitent de pouvoir écrire par-dessus l’épaule de leurs personnages pour déconstruire les codes traditionnels de la correspondance. Ainsi, dès la première lettre, Angèle s’exprime à la fin en écrivant “Assez écrit pour aujourd’hui, à toi de me répondre. Répondre à quoi ? C’est idiot cette expression. Je ne t’ai pas posé de question.” et se demande aussi comment conclure une lettre de cette nature (p. 8). On peut ainsi demander aux élèves de partir à la recherche de ces expressions détournées ou interrogées par les deux protagonistes et leur demander l’effet produit par ce genre de détournement sur le lecteur ? Cela a-t-il pour effet de provoquer le rire ? Invite-t-il plutôt à la réflexion ? Etc.
Par ailleurs, on peut aussi proposer aux enfants, une analyse des lettres n° 3 et n° 4, dites “lettres de secours, très sérieuses” en leur demandant notamment ce qui distingue ces lettres des autres : le registre de langue est-il différent ? De quelle nature sont les informations transmises par ces lettres ? Paraissent-elles plus intimistes ou moins intimistes que les autres correspondances ? De plus, à la page 13, Angèle ajoute un post-scriptum où il est écrit “je t’écrirai une vraie lettre, plus tard”. On peut ainsi demander aux élèves pourquoi, selon eux et elles, cette lettre ne peut pas être considérée comme une vraie lettre et qu’est-ce qui distinguerait les vraies lettres des fausses lettres selon Angèle ?
Pour prolonger ce travail sur les registres de langue, on peut dans un travail d’écrit d’invention, proposer comme consigne d’écrire une lettre racontant la même histoire mais l’une adressée à son ou sa meilleure amie et l’autre adressée à un adulte de leur choix en leur demandant de bien faire attention au registre de langue à employer selon la personne à laquelle on s’adresse.