Plutôt que des brouillons, des pages d’un état antérieur du manuscrit, Yves Lebeau préfère nous livrer ses réflexions. Il nous accorde donc un petit entretien.
« Pour ce qui est des multiples versions, je reste circonspect.
Pour m’y connaître passablement en génétique littéraire,
je crains que les brouillons et repentirs d’écritures ne soient d’un autre temps.
Aujourd’hui nous travaillons en effacement permanent comme dit l’amie Noëlle Renaude !
Et puis, chez moi quelque chose s’arrête avec le livre (ou commence),
c’est-à-dire que l’écriture publiée est de l’ordre de la promesse :
c’est ce que l’on donne.
Si je n’ai pas donné à l’éditeur un état du texte précédent, il y a une raison.
Bref : ne pas chercher ailleurs du texte.
Position d’acteur, de metteur, d’auteur.
Le texte, rien que le texte mais tout le texte !
L’interroger à plus soif — Jouvet parlait de la « prière au texte ».
Si « Du temps que les arbres parlaient » renferme un secret
— rien n’est plus ridicule que l’auteur faisant l’exégèse de son travail —
c’est à « l’Autre » : lecteur, metteur en scène de le révéler.
Je constate que ce texte tente énormément et fait passablement peur.
C’est un texte d’initiation. Un texte pur. »
éditions Théâtrales : Entre Du temps que les arbres parlaient et Petites colères devant La Mer, se tissent d’intimes correspondances : ces deux textes ont pour trait commun d’avoir pour personnage principal un garçon solitaire de 12 ans, devant la nature, pouvez-vous nous en dire plus…
Yves Lebeau : La nature ? Disons les quatre éléments. Voir Bachelard.
J’aurais pu écrire quatre textes, quatre initiations d’un enfant par un élément…
J’aime l’Arbre. J’aime les livres d’arbres. J’aime les images d’arbres. Il m’arrive d’en peindre. Je ne peins que des arbres. L’arbre doit être mon totem. Un père.
J’aime l’arbre et je vis dans Paris.
Plutôt que de donner à lire mes brouillons, je préfère que le lecteur mette en perspective mon Du temps que les arbres parlaient avec d’autres textes achevés : Petites colères devant la mer, Homme avec femme arbre et enfant ainsi qu’avec La Lampe donne sur ses yeux.
éditions Théâtrales : Dans vos textes le rapport à la nature est prégnant, on retrouve d’ailleurs des motifs assez proches du courant romantique : l’exaltation du mystère, du fantastique, de la nature…
Yves Lebeau : Je ne suis pas romantique.
Le fantastique m’est totalement hermétique.
La Nature est une matière, elle est nous, elle est partout.
Dieu n’existe pas. Je n’en souffre pas.
La nature et mon activité d’artiste me tiennent lieu de tout.
Je suis un peu indien (voir : peau rouge, Amazonie).
Ma nature, faut-il le préciser est définitivement laïque.
Ne pas voir l’importance des l’arbre, de la mer, de la chair, c’est être fou.
La matière vivante, l’essentiel est là.
Pierre-Aimé Touchard, dans Dionysos, Apologie pour le Théâtre, fait remonter la naissance du théâtre à la contemplation du feu de bois ; l’homme assis devant son feu serait le premier spectateur… Oui.
éditions Théâtrales : Comment avez-vous élaboré cette structure ? Y-a-t’il eu différents titres ? Quels étaient les 5 personnages initiaux et pourquoi les avoir évincés de la fiction ?
Yves Lebeau : Structure, personnages, titre ?
Tout ça c’est lent. C’est de la chimie.
J’aurai pu faire parler ce père à la trompette
et cette mère qui se lave au sang...
Absurde ! Ils ne sont pas nés, ils sont dans l’enfant.
Existent-t-ils seulement ?
Qu’est-ce qu’il y a de vrai dans ce que dit cet enfant ?
Rien. Tout. C’est vrai parce c’est écrit.
Ne jamais croire ce qui est écrit.
L’arbre qui l’écoute le sait bien.
Pourquoi il l’écoute aussi patiemment ?
Pour que l’enfant aille jusqu’au jour suivant.
Un jour de gagné. Et encore un.
Pour cela qu’il y a une semaine.
Du saut de haie.