éditions Théâtrales Jeunesse

Costa le Rouge

de Sylvain Levey

Carnet artistique et pédagogique

Prenons les sept premières séquences :

- les cinq premières séquences sont un dialogue entre Costa et Papé ;

- la séquence 6 est un dialogue à plusieurs personnages : Costa, Mum et Pa ;

- la séquence 7 est un long monologue de Papé.

Nous constatons que les vingt-huit séquences fonctionnent sur un de ces trois modèles, la séquence incluant un dialogue à plusieurs personnages prend plusieurs fois en compte le Papé comme quatrième interlocuteur.

Observons de façon plus précise le fonctionnement de certains dialogues et du monologue.

L’enseignant curieux pourra se reporter utilement à l’étude suivante, Les Nouveaux Territoires du dialogue, sous la direction de Jean-Pierre Ryngaert, parue chez Actes Sud, coll. Apprendre, 2005.

1. Le principe « répétition, variation »

Le dialogue de la scène 1 fonctionne selon le principe « répétition, variation »

En effet le Papé invite Costa à passer en revue différentes parties de son corps : les ongles, les doigts, le cou, les pieds. Ce sont chaque fois des parties du corps qui peuvent être en contact avec le monde extérieur. L’impression qui se dégage est une impression d’ordre et de propreté.

Mais les commentaires de Costa ajoutent dès la première scène une dimension poétique de l’ordre du conte, qui reviendra à plusieurs reprises dans l’écriture de Sylvain Levey : « des vrais doigts de fée », « il est blanc comme neige, ton cou ».

Dans la séquence 2, la répétition porte sur la forme interrogative et sur la répétition du mot « Papé », chaque fois rejeté en fin de phrase.
L’écriture nous renvoie au questionnement lancinant des enfants à un certain âge.
Cette fois, ce sont les réponses du Papé qui renvoient à une réalité concrète : son rapport à la terre, mais de façon paradoxale.
Les dialogues contenus dans chaque séquence sont suffisamment brefs pour faire une observation, réplique par réplique avec les élèves.
Le champ d’action du Papé rétrécit du champ de pommes de terre à la jardinière de géraniums.
On pourra aussi demander aux élèves pourquoi, à leur avis, le Papé creuse-t-il un trou ?
On pourra opposer des hypothèses pessimistes, à la réponse optimiste du Papé, qu’on pourra mettre en relation avec la Fable de La Fontaine Le vieillard et les trois jeunes hommes.

La séquence 3 confirme cet optimisme tout en le nuançant par des approximations successives.

De la même manière on observera le principe de « répétition, variation » dans la scène 4 et on insistera sur la dernière réplique du Papé « Je pleure Costa ».

À travers cette écriture très économe, minimaliste et presque poétique, Sylvain Levey suggère plus qu’il ne dit.

Ces courtes scènes entre Costa et Papé proposent un travail très intéressant du passage de l’implicite à l’explicite, laissant une place à une pluralité de points de vue sensibles sur une réalité qui n’est saisie que par bribes. Nous sommes là au cœur de l’écriture littéraire, permettant la liberté du travail d’interprétation de chacun.

La meilleure façon d’aborder la séquence 5 me paraît être « l’oralisation ».

Au départ deux élèves lisent chacun à tour de rôle Costa et Papé.

Puis on demande à un élève de lire à la suite l’une de l’autre toutes les répliques de Papé, et à un autre élève toutes les répliques de Costa. Très vite on peut constater qu’il s’agit de deux monologues alternés, que les deux personnages ne s’écoutent pas, chacun suivant sa propre idée.

La séquence 6 est un dialogue entre trois personnages Mum, Pa et Costa, c’est-à-dire le fils et ses parents.

On peut demander aux élèves de relever les mots ou les expressions qui ont déjà été employés dans les séquences précédentes (« creuser un trou », « planter une graine », le verbe « savoir » conjugué).

Puis on peut proposer aux élèves de relever les mots nouveaux qui reviennent le plus fréquemment dans cette scène : « Pourquoi », « oui », « non », « chut », « silence », d’observer les réponses des parents. Sont-elles les mêmes que celles du grand-père ? En quoi sont-elles différentes ?

À travers cette observation du vocabulaire, de la fréquence des mots utilisés ou répétés, quelles hypothèses peut-on faire sur la relation de Costa avec ses parents.

Là encore, l’implicite du texte, qui renvoie néanmoins à une situation vécue des enfants (la relation triangulaire père, mère, enfant) est une surface de projection ouverte qui permet l’ouverture du sens et de l’interprétation qu’il faut préserver.

2. L’écriture de liste, d’inventaire et d’accumulation

La séquence 7 propose une autre forme d’écriture que l’on retrouvera dans les séquences 9, 16, 18, 20, 22, 25, 28.

Il s’agit de monologues assez longs qui contrastent avec la brièveté des dialogues précédents, et qui sont travaillés par l’écriture poétique, se déclinant à travers plusieurs procédés.

**a. La répétition

Exemple :

Au début
Au début du début
Au début du début de tout ça
Au début du début de l’histoire

La répétition du mot « début » est augmentée et précisée progressivement.

De même que le mot « land » qui apparaît pour la première fois dans l’expression « le no man’s land », revient plusieurs fois sous la forme « un land » accompagné d’un complément privatif « sans », « sans alphabet », « sans multiples », « sans coefficients », etc.

Dans ces séquences monologues, nous constatons que s’écrivent des histoires qui vont se transmettre du grand-père au petit-fils et que le petit-fils va continuer d’inventer.

Le grand-père est aussi un conteur d’histoires, un jouisseur de mots, qui mêle par plaisir le français châtié, le vocabulaire relâché, le franglais, certains mots étrangers, qui fait se télescoper, toujours par le biais du vocabulaire et des mots mis en liste, le monde des origines et l’extrême contemporain dans une pseudo-genèse humoristique et iconoclaste.

**b. Définition et évocation du « rien »

Sur un axe paradigmatique, Sylvain Levey joue à trouver les substituts du mot « rien ». L’humour vient de la liste importante de synonymes :

  • nada
  • que dalle
  • des clous
  • des clopinettes
  • peanuts
  • rien du tout
  • le vide
  • le néant
  • le silence
  • le no man’s land

Un travail en vocabulaire permettra de préciser les nuances apportées par chaque mot.

**c. L’engendrement par récurrence

Nous empruntons ce terme au cadre de la littérature potentielle (Oulipo, Atlas de littérature potentielle, folio, essais, 109, p. 81) : « Nous classerons sous la rubrique « littérature récurrente » tout texte contenant explicitement ou implicitement des règles d’engendrement qui invitent le lecteur à poursuivre la production du texte à l’infini (ou jusqu’à l’épuisement de l’intérêt ou de l’attention). »

Le rien est évoqué aussi par la formule négative « pas de », qui engendre à son tour des mini-histoires qui ne se terminent pas mal, car elles suggèrent une échappée possible à la société de consommation.

Il est intéressant d’attirer l’attention des élèves sur le fait qu’une formule linguistique de privation (« pas de ») engendre un effet de sens qui remet en cause les fondements de la société individualiste de consommation.

Une autre façon de suggérer le rien est le « no » anglais, qui lui aussi engendre un inventaire en franglais ludique des expansions du mot « land ». Cette liste renvoie à une société de consommation riche et technologiquement avancée et contraste avec le monde de la caillasse des origines jusqu’au télescopage de ces deux univers dans un big bang télévisuel imaginaire.

**d. L’injection de mathématiques en littérature

Selon un procédé cher à Raymond Queneau et aux oulipiens, Sylvain Levey introduit quant à lui des statistiques dans son texte, faisant référence de façon humoristique là aussi à la vanité des sondages d’opinion. Le 4x4 du voisin introduit comme dirait Queneau « les mathématiques amusantes ».

Ainsi, par tous ces procédés, la langue devient une matrice à engendrer un monde fantaisiste qui, bien qu’il produise un effet d’improvisation, est néanmoins orienté vers une critique joyeuse et inventive de société d’aujourd’hui.

**e. L’entrée par les différentes thématiques

Ce texte est un texte de théâtre engagé, qui rend hommage à la transmission et au communisme, tout en ayant aussi une portée universelle.