Deux clics exactement. Le premier clic direction la corbeille pour le fichier « on ne sait pas qui on ne sait pas quand on ne sait pas pourquoi (titre provisoire) ». Fichier rangé dans le dossier « textes en devenir » de mon ordinateur, texte qui n’en avait plus beaucoup, d’avenir, puisque le deuxième clic a vidé la corbeille et a envoyé le document à tout jamais dans les méandres des circuits informatiques.
Et puis un matin, en vacances, j’adore travailler le matin, j’adore travailler en vacances, je couche des mots, des débuts de quelque chose, sur le verso de quelques feuilles et sur le verso de ces quelques feuilles, le texte « On en sait pas qui on ne sait pas quand on ne sait pas pourquoi (titre provisoire) ». Comme un rescapé du naufrage. Un revenant.
Après le café du midi, à l’heure de la sieste, j’adore travailler à l’heure du café du midi, je fais très rarement la sieste, je relis ces textes, bidouille un peu, j’adore bidouiller les textes comme un ado des années quatre-vingt bidouillait sa mobylette (bidouiller, c’est changer un mot, en enlever un autre, le remettre finalement, ajouter un complément, trouver une petite phrase qui fait que là, c’est la bonne musique), je bidouille donc une heure puis deux puis trois en attendant que la supérette du village ouvre, j’enfile mes claquettes et sors acheter l’unique cahier proposé à la vente dans les rayons de l’épicerie, cahier sur lequel je vais reprendre « on ne sait pas qui on ne sait pas quand on ne sait pas pourquoi (titre provisoire) » au début du début du commencement.
Je sais en revenant de l’épicerie baguette de pain et cahier sous le bras que ce texte sera mon prochain livre.
Ce texte, donc, c’est l’histoire d’une renaissance, d’un sursis, d’une vie après la mort.
Ce texte, c’est soleil, coquillages et crustacés. Premières lignes écrites à Jullouville en Normandie dans une maison de vacances avec vue sur la mer, du sable jusque dans le salon. C’était l’été 2007. (Déjà.) Dernières lignes, bidouillages donc, astiquage, resserrages de boulons sur la terrasse plein sud d’un appartement de vacances à Guéthary au Pays basque avec vue sur les surfeurs et les bateaux de pêcheurs. C’était l’été 2009.
Entre les deux, deux longues années de doutes et de remises en causes et d’abandon et d’oubli du texte.
Ce texte, c’est un texte sur l’école écrit durant les grandes vacances.
Ce texte n’est pas un texte sur l’école. Pas que. L’école est un prétexte. Comme le vêtement oublié d’ailleurs. Ce qui m’importe ici, c’est l’histoire avec un H, un grand pas, l’histoire au sens dramaturgique du terme car ici d’histoire il n’y en a pas, il y a des résonances oui, des clins d’œil de textes à textes, des chocs aussi, le tout formant un ensemble et vice-versa.
Il faut lire ce texte une première fois car l’ordre a une logique, la mienne. La mienne de logique associe la rythmique et le paysage. Pour définir mon paysage et mon rythme j’ai suspendu mon texte à la verticale, feuille à feuille, un texte (un vêtement) sur chaque feuille et j’ai regardé le vide et le plein de ces feuilles et j’ai déplacé puis déplacé de nouveau puis encore jusqu’à trouver le paysage qui me convenait. C’est un jeu qui associe donc ce paysage (l’œil) et le rythme (l’oreille). Un texte court après deux longs, pourquoi pas, un texte dialogué long après un monologue court suivi d’une liste ou d’une phrase seule, deux dialogues de suite mais un à deux voix et l’autre à trois intercalés par un monologue ou un texte narratif… Cela paraît technique, cela ne l’est pas. C’est instinctif. C’est animal.
Ensuite il faut faire du trampoline et sauter de texte à texte, passer par-dessus certains pour associer deux textes qui se répondent. Toutes les combinaisons sont possibles et s’expliquent et ont leur propre personnalité. Chaque combinaison provoque des chocs et des paysages et rythmes qui lui sont propres.
Dans Alice pour le moment, j’ai écrit ce que j’appelle un roman théâtre ; ici, dans Cent culottes et sans papiers, j’ai écrit non pas un théâtre poème mais un théâtre de micronouvelles. La micronouvelle comme son nom l’indique est une nouvelle réduite au strict minimum. Ce ne sont pas des poèmes, il ne faut pas se laisser piéger par la musique. Ce sont des micro-histoires qui mises ensemble racontent une grande.
Au fait oui, le titre, c’est Cent culottes et sans papiers et cela a pris du temps et de l’énergie à moi-même et à toute l’équipe des Éditions théâtrales. Qui a dit que le métier d’écrivain est un métier solitaire ? Nous étions au moins six à réfléchir sur le titre.
Les titres énoncés mais non retenus : Vêtements oubliés ; Une étoile dans le fond ; Dernier jour avant la sortie ; Sang, culottes et cent papiers ; Pierre feuille ciseaux ; Sans culottes et cent papiers et, j’en oublie sûrement et bien sûr, On ne sait pas qui on ne sait quand on ne sait pas pourquoi.
Comment mettre en scène ce texte ? Toutes les entrées sont possibles, du théâtre d’objets bien évidemment (ou de vêtements !), un dispositif plastique, une mise en onde avec casque, pourquoi pas, une troupe d’acteurs aussi c’est un axe intéressant, un seul acteur ou une seule actrice seule sur une chaise face public sans rien d’autre qu’elle et le texte. Une seule porte est fermée, celle qui ouvre sur le chemin de la nostalgie. Il ne faut pas se laisser piéger par le côté « les doigts plein d’encre », avec tout le respect que j’ai pour le photographe Robert Doisneau. C’est avant tout un texte politique qui replace le jeune lecteur spectateur acteur à l’endroit où il se trouve, c’est-à-dire début du vingt et unième siècle avec une histoire avant, une histoire pendant, une histoire après lui.
Je n’ai pas vraiment de références qui m’ont servi à l’écriture de ce texte. En fait j’ai des références musicales, cinématographiques, plastiques, littéraires qui sont le socle de l’ensemble de mon travail d’écrivain. Je pourrais citer en littérature Hubert Selby Junior, John Fante, John Kennedy Toole, Paul Auster, Tanguy Viel, Louis Calaferte, Alberto Moravia, Ou encore Michael Haneke en cinéma, le film Dog Days, les films du Dogme de Lars Von Trier.
J’aime aussi beaucoup des films comme La Graine et le Mulet qui associent rigueur, engagement et accessibilité au large public, j’aime la simplicité d’Agnès Varda, j’aime les films de la Nouvelle Vague, surtout Godard, surtout Pierrot le Fou, j’aime Soulages, Pollock, Hopper, Frida Kahlo, Gauguin en peinture, j’aime Thomas Fersen, Noir Désir, Dominique A, le groupe Beirut, Tom Waits, Iggy Pop et Joy Division en musique.
Paris, Avril 2010