Cette écriture, ce jeu « à la face » dénué d’espace déterminé, est une des caractéristiques fortes de l’écriture théâtrale contemporaine. Les metteurs en scène choisissent soit de tout confier aux acteurs sur plateau nu avec seulement un travail de la lumière, soit de confier à un scénographe plutôt que décorateur (voire à un plasticien) le soin d’habiter l’espace d’une ou d’images métaphoriques.
Que l’on envisage ou non une présentation du travail sur Arsène et Coquelicot, on pourrait mener une recherche théorique ou concrète d’images plastiques symboliques :
Recherche préalable d’objets vêtements, affiches, autres documents d’époque de la Seconde guerre mondiale dans les familles, à disséminer au sol, suspendre, comme une sorte de labyrinthe ou de grenier (ce qui en cas de mise en jeu, supposerait une prise en compte de cet espace dans les déplacements et le jeu) : image symbolique de la quête des origines.
On lira et regardera avec profit l’album La Guerre en mille morceaux ou le petit musée du soldat Machin d’Alain Serres et Zaü (Éditions Rue du Monde 2018). Vraie réussite éditoriale, le livre présente sur la page de gauche le texte et les illustrations, et sur la page de droite la photo d’un objet du soldat, d’un journal, etc. Certes, il s’agit là de la guerre de 1914-1918, mais ce beau livre pourrait inspirer.
Si le travail sur Arsène et Coquelicot devait aboutir à une présentation, on pourrait imaginer d’ajouter à celle-ci, en épilogue, une « invasion chorale » de l’espace par l’ensemble de la classe, proférant les uns les autres, à la manière de Mirabelle et Hippolyte dans le tableau I, des éléments de leurs origines familiales, proches ou lointaines, croisés de notations historiques, tirés de leurs travaux d’écriture. Ce ne serait pas trahir Sylvain Levey, puisque, nous l’avons vu, tout son texte invite les enfants, les parents, les familles… les enseignants à cette transmission.
Si l’on a bien intégré la nature profonde du texte où Arsène et Coquelicot apparaissent en flash-back comme des réminiscences, en des lieux et des temps indéfinis, les costumes des quatre personnages n’auraient pas à changer de base de manière réaliste au fur et à mesure de leur vieillissement. Hormis dans les tableaux II et III plus réalistes, où les moments pourraient être signifiés par l’ajout d’un simple voile de mariée, et d’un calot militaire. Très long voile dont on pourrait chercher une nouvelle utilisation dans la suite, comme un symbole de cet amour qui ne les a jamais quittés, tout à la fois, objet auquel s’accrocher et fardeau.
Dans ce cas, il faudrait faire des improvisations préalables détachées du texte : on place un long voile au sol et on demande à chacun d’aller proposer une utilisation de cet objet, en le transformant. Voici quelques exemples : on l’étend au sol et marche dessus comme un promeneur, on le roule et on en fait un bébé qu’on berce, il devient un mouchoir pour les larmes, le voile du « deuil », la rue du Monte à regret (chacun le tenant à un bout), etc. pour ouvrir la voie à son utilisation dans le texte.
L’intérêt avec les enfants serait de travailler sur la symbolique des couleurs, des matières et des formes pour signifier les personnages et les différences de génération. Pour cela, on peut s’appuyer sur le choix des prénoms : Mirabelle, petit fruit jaune sucré tout rond, ensoleillé (ce rond, forme préférée de la fillette) ; Coquelicot, fleur fragile, d’un rouge vif comme sa sonorité.
Si l’on allait jusqu’à une présentation de la mise en jeu, dans les conditions limitées d’une classe, se poserait la question des multiples interprétations en chœur ou relais des personnages.
Dans le cadre d’une présentation de lecture, on pourrait simplement jouer sur des tee-shirts de couleurs différentes pour la simple compréhension des spectateurs ; dans celui d’une mise en jeu, surtout si on est allé jusqu’à l’élaboration d’une scénographie symbolique, on préférera, à cette uniformité un peu sèche, l’unité dans la diversité des nuances, des matières, des formes de vêtements portés par les enfants (si possible) avec le seul rappel de la couleur (des jaunes pour Mirabelle, que ce soit des pantalons, des hauts, des jupes des robes ; de même pour les autres personnages)
Une fois toutes les recherches menées par les enfants eux-mêmes à hauteur d’élèves avec les moyens et dans les conditions de la classe, on regardera certains des documents proposés dans la partie artistique (partie IV) pour y confronter ce qu’on aura dit sur le texte, ressenti à sa lecture et ce qu’on aura trouvé pour sa mise en voix et en jeu.
Le texte de Jean-Pascal Viault, notamment, permettra d’approcher la création et les relations entre un metteur en scène et un auteur dans le cas particulier d’une commande d’écriture. Sa mise en scène en marionnettes (vidéo et photos) sera source d’émerveillement et d’analyses : choix des figurines en bois, présence d’objets, costume de la manipulatrice (mitaines, robe fleurie, pantalon kaki) et musique (valse du temps), proposition très différente des pistes de ce carnet, ouvrira à la notion de mise en scène et au métier de metteur en scène.
L’ensemble des documents fera aussi prendre conscience de la multiplicité des expressions artistiques mises en œuvre dans une représentation théâtrale.