Arsène et Coquelicot ne se déroule pas chronologiquement selon la construction classique d’une pièce-machine : il n’y a pas d’intrigue, d’action qui avance par liens de cause à effet, d’une scène à l’autre.
Pour le faire percevoir, on pourrait :
On en conclura la construction en flash-back et le fait que le fil dramatique ici n’est pas l’intrigue mais la résolution, plus ou moins réellement, d’une énigme par nos deux enquêteurs, Mirabelle et Coquelicot : le mystère du coquelicot.
Cette étude étant utile pour la suite, on proposera d’abord un travail « à la table ». Les élèves répartis en duos, pour pouvoir discuter, argumenter, chercheront, pour chaque tableau, dans quel lieu le ou les personnages parlent.
Hormis, les tableaux II et III en flash-back, où les moments vécus, reproduits comme s’ils avaient été enregistrés, peuvent être situés dans des espaces précis (lieux du mariage, quai de gare), tous les autres de IV à VII sont des récits (on fera repérer les marques temporelles : présent d’un côté / passé composé de l’autre) dans lesquels peuvent s’insérer des moments – souvenirs, deux dialogues revécus au présent, mais rapportés par le personnage seul (Arsène VI et VII)
Alors, dans quel lieu sont racontés tous ces moments du passé ? On ne sait pas. Il arrive aussi que cette parole non située suppose deux espaces différents parallèles (IV). Et comme on l’a mis en évidence plus haut, souvent on ne sait pas vraiment à qui parlent les personnages.
Si l’espace du récit n’est pas indiqué, c’est peut-être qu’il n’existe pas et/ou qu’il n’y a qu’un seul espace/temps qui vaille pour l’auteur : celui de la scène de théâtre et du présent partagé avec les jeunes spectateurs, rassemblés là à l’écoute. Parce que c’est à eux que ces paroles s’adressent « directement » (voir partie I-C).
Ceci n’est pas sans importance pour une mise en jeu « juste » du texte. On se posera alors la question : faut-il un décor ? (voir partie III-D)
On ne peut dire si Mirabelle et Hyppolite sont timides, impulsifs, hardis, coléreux, etc. Ils semblent avoir le goût de la fantaisie et être pleins de vie, curieux et sensibles à l’histoire d’Arsène et Coquelicot. Mais ils n’ont pas de psychologie. Ceci s’accorde évidemment avec le fait que les enfants sont des personnages/narrateurs et des témoins, qu’ils ne vivent pas des épisodes de leur propre vie. Comme Sylvain Levey, ils sont des passeurs. Ce qui ne veut pas dire qu’ils soient de simples locuteurs.
Arsène et Coquelicot ont plus de corps. C’est leur histoire qui est racontée.
Leur statut est pourtant complexe. Si dans les tableaux II et III, ils vivent « en direct » leur mariage et leur séparation, ensemble, (dialogue à la 2ème personne), qu’en est-il ensuite ? Se parlent-ils ?
Relecture silencieuse ou orale.
Dans le cas d’une lecture orale, on peut, pour que la nature du dialogue apparaisse plus facilement :
Les enfants devraient être capables de mettre en application ce qui a été fait auparavant et trouver :
Sylvain Levey, dans les 6 premières répliques, a d’abord joué sur l’ambiguïté, facteur d’émotion, en donnant l’impression qu’ils se parlent par l’enchaînement logique des répliques comme si l’un finissait la phrase de l’autre (chacun aurait d’ailleurs pu dire seul les 6 répliques) mais en réalité Arsène et Coquelicot sont sur scène côte à côte, parle de l’autre (et non pas à l’autre), de leur attente interminable chacun de leur côté ; l’amour de leur vie est là à portée de main sur scène et ils ne se rejoindront jamais. Seules leurs pensées peuvent se rejoindre.
Le monologue croisé (auquel s’ajoute la figure de l’anaphore abordée plus loin) est ici source de tragique (voir partie III-B).
L’adulte pourrait relire, à titre de confirmation, la fin du tableau VI, les 3 dernières répliques p. 36 et celles de la p. 42. Ainsi, il pointerait l’ambiguïté : comment interpréter ces dialogues qui se répondent jusqu’à se dire ensemble ? S’agit-il de paroles qui s’échangent au-delà de la mort d’Arsène, comme un dialogue qui continue ? Une présence à l’absent qui empoigne le cœur ?
Coquelicot.– Il n’est jamais revenu.
Hippolyte.– Pourquoi Arsène tu n’es jamais revenu ?
Arsène.– Je suis revenu.
Coquelicot.– J’étais déjà partie. (p.37)
La relecture du tableau V suivant répondra à l’éventuelle question : à qui parlent-ils ? aux spectateurs ? à Mirabelle et Hippolyte ?
Après une éventuelle relecture silencieuse.
On a là un dialogue, mais les 4 personnages se sont-ils pour autant rencontrés ? Les questions posées par Mirabelle et Hippolyte montrent qu’ils ont écouté le tableau IV. Pourtant peuvent-ils « réellement » avoir posé ces questions, lors d’une rencontre avec leurs aïeux ? Non pour Hippolyte (rappel : p. 18-19 : « La prochaine fois je lui demanderai », « Il n’y a jamais eu de prochaine fois. Le cœur d’Arsène s’est arrêté un matin de novembre »). Et non pour Mirabelle aussi, puisqu’à ses questions, Coquelicot n’a jamais voulu y répondre (p. 18-19).
Mirabelle et Hippolyte auraient pu percevoir les paroles d’Arsène et Coquelicot sans être dans le même espace/temps. Dans ce dialogue « fictif » avec eux, ils se feraient les intercesseurs sensibles des jeunes spectateurs.
En conclusion, le statut des personnages est ambigu, le temps et les espaces sont multiples et indéfinis, réalistes ou non. Tout se passe ici comme si temps et les espaces étaient effacés, et comme si la parole devait, nue, occuper toute la place. Pour que l’histoire d’Arsène et Coquelicot, elle, ne s’efface pas, qu’elle soit transmise.