éditions Théâtrales Jeunesse

Arsène et Coquelicot

de Sylvain Levey

Carnet artistique et pédagogique

Les listes en folie, répétitions/variations

Cette présence des listes est une des marques de l’écriture de Sylvain Levey (voir la bibliographie), comme l’alternance de très longues répliques et de répliques minimalistes (ce dont les jeunes lecteurs prendront conscience à la simple observation de la mise en page, en feuilletant le livre et d’autres livres de l’auteur).

Arsène et Coquelicot, récit d’une généalogie dans ce 1er tableau, conduit tout naturellement à cette écriture en listes, car que sait-on de ses ascendants pour peu qu’on remonte au-delà de la 3ème génération ? Tout au plus, une suite d’appellations familiales, « arrière-arrière-arrière… », avec au mieux date de mort, si elles sont liées à l’Histoire. Si les générations se rapprochent, on pourra avoir le prénom et le patronyme, le métier et le lieu de vie, avant de finir par tout connaître.

Mais au-delà de la nécessité du sujet, Sylvain Levey et ses personnages semblent prendre un plaisir à ces accumulations débouchant sur un plaisir de jeu pour les acteurs.

Preuve en est dès le tableau I avec Hippolyte, qui liste par exemple les mariages, puis les prénoms (p. 8 et 9), ou encore les « J’aime » / « Je n’aime pas » et les métiers (p. 10 et 11)

Mirabelle n’est pas en reste. On peut noter la liste des chiffres et des choses rondes (p. 13) qu’Hyppolite reprendra en nuançant : sinon les ronds, ce sont les choses qui font des ronds en tournant que lui aime (p. 14). Cela donne un effet de répétition/variation. Outre ce premier point commun, on remarque que les deux jeunes ont le même chiffre préféré et aiment les mêmes choses. Fameuses coïncidences ! Dans la « grande loterie qu’est la vie », ces deux-là sont faits pour s’entendre ! C’est peut-être aussi, pour Hippolyte, une petite invention, le moyen de se rapprocher des goûts de Mirabelle, une forme de séduction… ?

Un plaisir de parler, parler pour le plaisir jusqu’à broder un peu, prendre des libertés avec la vérité, inventer parfois ce qu’on ne sait pas :

  • Hippolyte (p. 15) voit mille choses à sa naissance alors que les bébés ne voient pas ; personne n’a jamais eu la mémoire consciente de ses premiers mois. Le plaisir d’imaginer, d’enjoliver ce moment pour dire l’amour familial.
  • Mirabelle (p. 10) prétend connaître le poids d’une ancêtre à six générations !

    Si Hippolyte a eu la chance de tomber sur un arbre généalogique qui justifie son savoir sur ses ancêtres, d’où Mirabelle tient-elle tout ça ? Un peu du récit familial sans doute, mais s’ils brodent, ici ou là, peu importe : ils cherchent et invitent leurs congénères à chercher eux aussi leurs origines.

    Comment faire saisir ce plaisir de l’enquête sur ses origines, le plaisir de la parole (listes, petits écarts avec la vérité) ?

Quelques propositions d’exercices possibles :

  • Entraînement par deux à la lecture des deux premières répliques de Mirabelle et Hippolyte.
  • Enquête sur les origines des enfants :
    > 1ère étape en classe : recherche spontanée sur ce que chacun sait de ses aïeux. Sait-on autant de choses que Mirabelle et Hyppolite ?
    > 2de étape : chacun se fait enquêteur auprès de sa famille (prises de notes ou enregistrements) avec la consigne supplémentaire de poser des questions sur les événements historiques vécus (voir partie III-C).
  • Étude de la langue : relever des verbes et périphrases synonymes de « naître » dans la bouche de Mirabelle : « a vu le jour », « est sortie tête la première », « a souri à la vie », « est le fruit de la passion de », « a donné naissance », « a accouché » « a offert la vie »

On notera aussi dans la bouche d’Hippolyte, p. 15 : « quand j’ai sorti la tête du dedans de ma mère », formulation humoristique qui place la fantaisie à côté du malheur. On pourrait en trouver d’autres : « tomber du nid », « débarquer », « faire son entrée », « ajouter un prénom », etc.

Le relevé de ce vocabulaire servira d’appui à l’exercice oral de « battle » (Voir III-C) ou à des écritures personnelles.

On pourra en chercher d’autres et faire de même pour le verbe « mourir » et ses périphrases (beaucoup moins nombreuses dans le texte) permettant d’aborder, sinon le terme, au moins la notion d’euphémisme.

La question complexe de l’adresse : qui parle à qui ? Dialogue ? Monologues croisés ?

Cette partie permettra d’explorer les notions d’auteur, acteur, personnage, narrateur ou récitant, locuteur.

**Qui parle ?

À l’évidence, certaines formulations ne semblent pas tout à fait sonner comme celles d’une fillette et d’un garçon de 11 ans. On sent derrière l’humour de Sylvain Levey.

Dans le premier tableau, certains commentaires semblent bien cacher la voix de l’auteur : « […] a vu le jour, je n’ai jamais compris pourquoi en pleine nuit […] », « est sortie […] joyeuse et insouciante […] au début d’une guerre », dans la bouche de Mirabelle (p. 7). De même, les formulations adultes d’Hippolyte : « soit dit en passant » (p. 9), « je ne saurais le dire » (p. 10), « dans cette grande loterie qu’est la vie » (p. 15)…

**Si l’auteur parle derrière ses personnages à qui parle-t-il ? et les personnages eux-mêmes, à qui s’adressent-ils ?

Si l’on a déjà remarqué la longueur des répliques de chacun, on remarquera aussi l’absence des marques habituelles du dialogue (pas de 2ème personne, pas de phrases interrogatives et impératives) et l’absence d’enchaînement entre ce que dit l’un et ce que dit l’autre.

On en fera prendre aisément conscience, en relisant la fin des répliques et le début des suivantes de chacun. Les pages 10 et 11 confirmeront ce constat et mettront clairement en évidence le fait que chacun suit son fil sans tenir compte de la parole de l’autre : Mirabelle déroule celui de ses ancêtres jusqu’au « Donc » qui en est la preuve ; Hippolyte (p. 11 : « […] en fait c’est difficile à notre âge de choisir un truc qu’on aime vraiment ») enjambe la réplique de Mirabelle et continue : « Tu te poses trop de questions (me dit ma mère) ». Mirabelle et Hippolyte ne dialoguent pas, ils monologuent.

Les quelques répliques plus courtes p. 12 et p. 14 viendront un peu nuancer cette affirmation mais l’ensemble du tableau I est construit en monologues croisés.

Alors sans doute Mirabelle et Hyppolite (et l’auteur avec eux) s’adressent-ils moins l’un à l’autre qu’aux enfants lecteurs et spectateurs, faisant tomber le Quatrième mur pour un jeu à la face. Et cette 1ère adresse directe est pleine de vie, de fantaisie ; l’émotion et la peine viendront plus tard. Il y a du plaisir dans tout ça, jusqu’au plaisir même de celui qui en dira plus que l’autre, dans une sorte de compétition. (Voir partie III-C)

Lors d’un atelier avec des comédiens amateurs sur ses premiers textes, Sylvain Levey avait donné comme une indication de jeu cette précision : d’abord acteur, il écrit pour le livre mais aussi en acteur ; entrer sur un plateau de théâtre, c’est comme un combat (amical) : il faut donner toute son énergie et empoigner le spectateur, le ravir à l’acteur entré avant soi.

Sans doute est-ce ainsi qu’il faut entendre ce 1er tableau et qu’il faudrait le mettre en jeu, en jouant cette compétition de la parole avec fantaisie.

On retrouve ces mêmes monologues croisés dans les tableaux IV et V (avec là un effet différent) et ce jusqu’au début du tableau VIII. Il faut arriver à la toute fin du texte et de l’histoire p. 44 pour qu’apparaissent les marques du dialogue avec la 2ème personne, signe d’un changement dans les relations entre Mirabelle et Hippolyte : ils sont tombés amoureux.

Comment faire percevoir tout ceci, sans trop s’y attarder, à hauteur d’élèves de cycle 3 ?

Cette perception du fonctionnement dramaturgique du texte est complexe mais nécessaire, même à ce niveau, si l’on considère qu’aborder le texte théâtral à l’école ou en atelier suppose de dépasser la narration et les caractères des personnages, pour approcher la question de la représentation, qu’on mette le texte en jeu ou pas.

Alors, l’enseignant jugera de la méthode adaptée à la classe et au temps dont il dispose. On pourra au choix :

  • Énoncer les caractéristiques dramaturgiques et les faire mettre en application sur des essais de jeu.
  • Les faire découvrir par une comparaison entre les dialogues rapportés des deux enfants avec leur mère p 17-18 et p. 7-11 (marques grammaticales, longueurs, enchaînements, etc.)
  • Proposer une recherche par « improvisation ». Consigne donnée avant la récréation : mettez-vous par deux et parlez de vos ancêtres à vous. Au retour, à quelques duos de reproduire leur conversation devant la classe. Suivrait alors l’analyse des différences à mettre en évidence entre l’écriture de S. Levey et les discussions des élèves.