En voici le texte original, envoyé aux programmateurs. Il est possible de s’appuyer dessus pour comprendre et peut-être s’appuyer sur, voire discuter cette vision de la pièce et de ses personnages qu’a Marie-Eve Huot, metteure en scène. Cela donne aussi des indications sur le processus de création théâtrale et ses différents protagonistes.
Antigone sous le soleil de midi
Note d’intention de mise en scène
Antigone sous le soleil de midi ramène à notre conscience l’une des figures fondatrices de notre mythologie occidentale. Plus de 2 000 ans plus tard, Antigone est toujours aussi jeune, vibrante, exigeante devant le monde et l’existence.
Sans surprise, le texte de Suzanne Lebeau met en scène Antigone, mais une Antigone qui pose des questions, une Antigone connectée à son intuition et à son horloge intérieure. Cette Antigone est aimante, généreuse, souple, assoiffée d’amour et de justice. Elle nous dit que nous avons une emprise certaine sur le monde et sur notre vie. Elle est tout en puissance et dénuée d’orgueil. Elle obéit à la loi du cœur et demeure libre d’honorer la mémoire de son frère mort.
Aux côtés de la petite Antigone, il y a son oncle Créon. Celui-là même qui a imposé une loi – cette loi par laquelle, on pourrait le croire, arrivera le malheur. Loin d’être autoritaire, Créon se pose aussi des questions : il hésite et doute. J’ai beaucoup d’empathie pour lui. C’est un homme politique qui est prisonnier de sa fonction. Il doit suivre l’ordre établi, faire confiance aux règles… et les faire respecter.
Dans cette relecture du mythe d’Antigone, deux forces de la nature se rencontrent ; mais ce n’est pas la rencontre d’Antigone et de Créon, encore moins leur opposition, qui est au cœur du propos de l’auteure. Il s’agit plutôt d’un espace de questionnements intenses et privilégiés où sont conviés les spectateurs. Adoptant une posture d’étonnement devant ces deux figures mythiques qui sont passées à l’histoire, Suzanne Lebeau nous ramène aux questions fondamentales qui sous-tendent le fonctionnement de nos sociétés occidentales. Avec ce nouveau texte, la dramaturge propose une incursion dans l’univers de la philosophie.
Auteure de haute voltige, Suzanne Lebeau est en constants allers-retours entre le cœur et l’esprit. J’ai reçu son texte comme un cadeau, mais aussi comme un legs qu’elle nous fait, aux enfants à qui elle a choisi de s’adresser et à moi-même, nous invitant à chercher la vérité en plongeant en nous afin de (re)trouver le pouvoir de changer les choses. Philosophe, elle nous ramène devant un état de fait désarmant : il n’y a pas de réponses définitives aux grandes questions de la vie.
Dans mon travail de mise en scène, entourée d’une équipe de création pleine de grâce, je me suis laissée guider par certaines questions que soulève le texte. Qu’est-ce qu’une tragédie, à notre époque ? Qu’est-ce qui est sacré ? La vie ? La mort ? La famille ? La liberté d’action ? La liberté d’expression ? La sincérité d’une indignation justifie-t-elle dissidence et désobéissance ? Qu’avons nous à apprendre d’Antigone et de Créon ?
Le spectacle reflète donc ces allers-retours entre le cœur et l’esprit, entre le corps et la tête, entre ce qui se passe en-dedans et ce qui se passe au-dehors. J’espère, sincèrement et humblement, qu’il donnera envie aux spectateurs de s’emparer de leur sens critique afin qu’ils puissent mieux encore interroger le sens des choses.
Marie-Eve Huot
Metteure en scène"