éditions Théâtrales Jeunesse

Amour et Merveilles

de Stéphane Jaubertie

Carnet artistique et pédagogique

Il s’agit dans cette partie de dresser la liste des grandes thématiques qui parcourent l’œuvre. selon l’orientation de la séquence, l’objet d’étude choisi ou l’âge ou l’appétence des élèves pour un sujet ou un autre, on pourra explorer une ou plusieurs de ces thématiques en classe.

** Les enjeux du conte

Comme la plupart des contes classiques ou les récits mythologiques, nous verrons que les histoires d’Amour et Merveilles, ces « contes à théâtre », ne sont pas tendres. Malgré cela, l’auteur choisit une fin heureuse, lumineuse, pour ses personnages : la jeune fille, par exemple, va vers « …le début d’autre chose » (p. 95).

On peut faire relever dans un premier temps tout ce qui dans ce texte porte la marque du conte ou du merveilleux (le royaume, la sirène, le rapetissement de l’enfant…). Ce travail de mise en route peut se faire en petits groupes. Un temps de mise en commun permettra de définir plus en détail cette notion.

Puis on demandera à l’écrit, toujours en groupes pour plus de dynamisme, d’inventer un ou deux noms descriptifs pour chaque personnage. La consigne pourrait être de faire une proposition de nom commençant obligatoirement par « celui qui… » ou « celle qui… », par exemple :
  Une jeune fille : Celle qui cherche Amour, celle qui veut aller au bout du royaume…
  Un homme : Celui qui ment, celui qui tue…
  Un père : Celui qui détruit, celui qui dévore, celui qui veut faire du mal à la sœur…

Cet exercice permet, en nommant, de mieux appréhender les rapports entre les personnages et les enjeux de chaque histoire.

Pour conforter ou exercer une lecture symbolique et interprétative, on gagnera à étudier les trois histoires à partir des émotions et ressentis des élèves. Les discussions peuvent s’étendre au-delà du seul texte Amour et Merveilles, il est cependant important de partir du texte, de certaines répliques ou situations pour cadrer les débats et leur donner une base commune de réflexion. On pourra alors discuter de ce qui nous attriste, nous révolte, nous choque ou de ce qui nous donne de l’espoir, ou nous motive dans différentes séquences de la pièce. Le genre du conte et les différentes histoires permettent d’aborder des thématiques variées tout au long du texte, mises en lumière ci-dessous.

** La fin de l’enfance

On peut prendre pour support la rencontre de la jeune fille avec le vieux comme le monde (p. 78 à p. 95) pour aborder la difficulté à sortir de l’enfance. Un parallèle peut être établi entre le vieux comme le monde et la jeune fille : le vieux comme le monde revient sur sa vie, tandis que la jeune fille l’a devant elle. Les peurs, les interdictions, l’appel vers l’ailleurs auxquels le vieux comme le monde dit ne pas avoir osé se confronter sont des bases de réflexions très intéressantes, qui peuvent faire l’objet de discussion en classe.

La difficulté pour la jeune fille à enterrer son chat Amour est également une métaphore illustrant la difficulté de grandir et la fin de l’enfance.

Affronter le réel et choisir sa vie

Le mensonge est un thème récurrent dans la pièce. Dès la première scène, l’homme ment à la jeune fille et lui fait du chantage pour obtenir sa libération (p. 7 à p. 12). La jeune fille doit elle-même mentir à son père pour récupérer son chat Amour (p.12 à p.15). Cette double trahison pousse la jeune fille à réaliser un voyage initiatique, où elle doit apprendre à se défendre et à se faire confiance.

L’histoire du fils et du père (p. 18 à p. 46) met aussi la trahison au centre, car elle illustre que la parole des adultes est parfois faillible. Grandir implique également d’apprendre à penser pour soi, et à écouter son instinct.

Cette histoire possède aussi une dimension initiatique, car le fils doit se confronter à son père afin de protéger sa famille. Il sera profitable de faire débattre autour de la signification métaphorique de cette didascalie (p. 46) et du choix du lexique employé par l’auteur :

Le père, tu le vois tomber. En plein soleil. Et tout en bas, sur la roche, tu vois qu’éclatent les mille morceaux d’un père-porcelaine. Puis qu’une vague arrive et emporte les restes d’un père-souvenir. Puis tu ne vois plus rien. Plus une trace sur la roche. Que de l’eau sous grand soleil.
Tout là-haut, tu vois le fils, au bord du ciel. Il est debout et regarde au loin l’océan et se dit qu’il est grand temps de redescendre, toucher terre, retrouver sa famille et rêver d’avenir.

Quelle est la place du fils dans la famille ? Que doit-on faire face à des comportements abusifs ? Nos actes, nos choix sont-ils soumis aux actions et aux choix des autres ? Autant de questions qui pourront faire l’objet d’un débat en classe.

Le sentiment de solitude

L’histoire de l’enfant, la sirène et la mère (p. 47 à p. 78) nous parle du manque d’amour. Le recours au merveilleux (la sirène, la disparition dans la baignoire…) permet ici de mettre en avant la solitude de l’enfant négligé par ses parents.

On peut s’interroger en classe sur le statut de la sirène : est-elle l’amie imaginaire de l’enfant ? Existe-t-elle réellement ? Si ce n’est pas le cas, qu’arrive-t-il à l’enfant lorsqu’il disparaît avec l’eau du bain (p. 77) ?

L’enfant perd petit à petit pied avec la réalité. Cette histoire peut donner lieu à un débat sur la place des écrans :

MÈRE.– Tu te promènes avec une casserole pleine d’eau, tu fais cuire des poissons que tu ne manges pas, tu dors avec une chaussette humide sur la table de nuit ! Et maintenant tu vas dans la baignoire avec une couronne sur la tête ! En pleine nuit ! Qu’est-ce qui t’arrive ? Dis-moi ! Tu peux me dire, tu sais. C’est à l’école ? Ça va pas ? C’est avec ton père ? C’est ça ? C’est avec papa ? Arrête avec ton écran, dis-moi quelque chose. Tu m’entends ?

On peut par exemple se demander si ce sont les écrans qui éloignent l’enfant de sa famille, le plongeant dans une réalité parallèle, ou si l’écran est une réponse au désintérêt des parents. Cela peut aussi être l’occasion de faire travailler les élèves, à l’écrit, sur leur rapport aux écrans.

La dévoration comme métaphore de l’inceste

À partir du cycle 4, il est important de verbaliser et d’accompagner la réception de ce qui est en jeu dans la séquence débutant avec la voix didascalique p. 35 :

… La porte. Regarde. Elle s’ouvre. Tu vois alors une ombre qui entre dans la chambre des enfants. Le fils fait celui qui dort et devine le père. […] Puis tu vois le père qui va trouver la fille. La dévisage à son tour, puis soulève le drap…

Puis se poursuivant avec les dialogues p. 35 à 37 :

PÈRE.- Ne te moque pas de moi ! J’ai cherché partout, dans toute la maison, et je n’ai rien trouvé ! C’est dans le lit de ta sœur que tu caches la bête ?
FILS.- Laisse-la !
PÈRE.- J’ai faim !
FILS.- Tu mangeras demain.
PÈRE.- C’est trop loin, demain ! C’est maintenant que j’ai besoin !
FILS.- Laisse ma petite sœur ! Il n’y a pas de lapin ! Ni dans son lit ni dans le mien !
PÈRE.- J’ai faim !
FILS.- Demande à maman de te faire quelque chose.
PÈRE.- Ta mère dort, et de toute façon elle ne comprend rien à ces choses-là.
FILS.- Ne la touche pas !
PÈRE.- Juste un peu.
FILS.- Arrête.
PÈRE.- Mais j’ai trop faim ! Tu vas comprendre ça, oui ? Juste un peu de ta sœur, et je disparais.

Le fils est le premier à s’élever contre son père et à lever le silence qui pèse sur sa famille. Ici, la dévoration, la « faim » du père et son statut d’ogre nous mettent sur la piste des violences sexuelles incestueuses.

Attention, cette thématique peut être délicate à aborder en classe, et demande une réelle écoute de la part de l’enseignant·e face aux élèves. On peut notamment se référer à la notice Éduscol sur la prévention des violences sexuelles intrafamiliales à l’École, disponible via ce lien.

Il est également nécessaire d’aborder la question petit à petit, en faisant la liste des différentes symboliques associées à la dévoration. On peut également faire appel aux contes pour aborder le sujet, par exemple le Petit Chaperon Rouge.

L’assassinat du père par le fils peut être vu comme une manière de protéger sa sœur des abus. Et prêter attention à l’échange (p. 45) qui nous mettent sur la piste de cette lecture interprétative :

PÈRE.- Pourquoi tu m’as fait monter en haut de ce rocher ?
FILS.- Pour les autres. Les protéger.
PÈRE.- Protéger de quoi ?
FILS.- De toi. Pour ne pas que tu fasses de mal à ma petite sœur. Pour ne pas que tu fasses de mal à personne.