Première consigne possible : élaborer des pistes de lecture à partir du titre.
Dans le titre d’Alice au pays des merveilles, il y a la mention d’un personnage et d’un lieu. Sylvain Levey reprend la même structure pour son titre : le prénom "Alice" en début de phrase non verbale, suivi d’un complément circonstanciel. Dans le cas de Lewis Carol : un lieu, dans celui de Sylvain Levey : un laps de temps. Cela soulève la question de la caractérisation d’un personnage.
Exercice possible pour les élèves en individuel : reprendre leur propre prénom et lui apposer un complément circonstanciel de lieu, de temps, de manière, etc. Ils devront expliciter à l’oral leur choix, faire un lien entre eux et ce titre fabriqué pour eux.
On amènera ensuite les élèves à réfléchir en groupe sur ce que signifie ce « pour le moment ».
Cette formule renforce l’intertextualité avec la Alice d’Alice au pays des merveilles, qui ne cesse de changer de taille, de forme, d’état. Ici, serait-ce une vision d’une Alice à un instant T, une sorte d’arrêt sur image ?
On verra après avoir lu le livre que le titre apparaît quasiment au milieu de la pièce, à la p. 35. Il est prononcé par Alice dans le passage 3 « Mi-femme, mi-lézard » : « ALICE : Alice pour le moment. », puis il réapparaît p. 40 et p. 41 dans des répliques identiques. Enfin, il s’explique à la fin, p. 57
Nous y reviendrons plus loin.
On demandera aux élèves toujours en groupes de feuilleter et/ou de lire de façon très cursive le livre.
Question que l’on peut poser aux élèves : En feuilletant ce livre, qui est une pièce de théâtre, on peut leur demander ce qu’ils trouvent ou au contraire, ce qu’ils ne trouvent pas.
Alice est en tête de liste, ce qui renforce l’idée qu’elle est le personnage central, principal.
Les personnages se distinguent entre personnages pourvus de prénom (ex : Alice, Florence, Gabin) et personnages sans prénom.
Les personnages sans prénom sont désignés par leur statut (le père et la mère d’Alice) ; par leur sexe et âge (Garçon 1, 2, 3 et 4 et Homme 1, 2 et 3) ; par leur âge (deux enfants, qui semblent plus jeunes que les garçons 1, 2 et 3 et 4 et qui ne sont pas sexués).
La liste fait apparaître les personnages par ordre d’arrivée dans le texte comme on peut le voir en feuilletant la pièce.
Question que l’on peut poser aux élèves : Est-ce que le découpage du texte correspond à un découpage classique ? Comment nommeriez-vous ces « parties » de pièce ?
C’est ici l’occasion de rappeler le vocabulaire théâtral aux élèves, et d’étudier un texte que l’on pourra qualifier de « contemporain » et qui se défait des contraintes théâtrales.
Le but, en répondant à cette question, est de se rendre compte qu’on ne peut, dans cette pièce de théâtre, pas justement parler de « scène » ou d’« acte ».
En effet, dans cette pièce, le numéro n’est pas précédé de la mention « scène » et le changement de scène n’est pas indexé à l’entrée ou à la sortie d’un personnage, comme cela peut l’être plus classiquement. Cette indication n’est pas suivie non plus d’une didascalie mentionnant les personnages en présence et/ou le lieu, le temps où se déroule l’action.
Nous nommerons donc ces fragmentations des « parties ».
Il y a un numéro et un titre par partie du texte ; au total 8.
Les titres sont de prime abord énigmatiques : « Dans le sens contraire au sens du vent », « N’habite plus à l’adresse indiquée »…
En lisant le texte de façon cursive on retrouve néanmoins ces titres dans le corps du texte. Par exemple, le titre 1, est à la p. 9 (« je marchais sur le chemin dans le sens contraire au sens du vent ») ; le titre 2, se retrouve p. 21 (« N’habite plus à l’adresse indiquée telle serait notre épitaphe sur notre caveau de famille. »), etc.
On notera que ces phrases ou morceaux de phrases qui forment les titres sont toutes dans les paroles du personnage d’Alice. On peut donc voir ces parties comme des moments, des instants, des fragments d’un récit, des fragments de souvenirs, des fragments d’identité. Des arrêts sur image.
On fera remarquer aux élèves qu’il n’y a pas de didascalies de jeu.
Question que l’on peut poser aux élèves : à qui parle et qui parle le plus. Très vite ils se rendront compte que c’est Alice qui parle le plus, qui « raconte » à la première personne. Cela permettra de rappeler ou de mettre en évidence la différence entre énonciation et narration.
Exercice possible : On peut demander aux élèves, dans la partie 1, de faire des repérages de temps verbaux et d’en déterminer les valeurs.
Alice utilise majoritairement l’imparfait (« je marchais », « la maison n’était que provisoire » - p. 1) et le passé simple (« je reconnus tout de suite sa voix et levai les yeux » - p. 10), qui sont les temps de la narration, du récit au passé avec l’alternance d’arrière-plan/description/habitude pour l’imparfait, et de premier plan des actions pour le passé simple.
On est en présence du récit à la première personne fait par Alice.
On s’aperçoit que les autres personnages insèrent leur parole dans ce récit. Par exemple, le père : « moi j’aime le jaune des coquelicots » (p. 9) ou la mère : « Alice ! Alice ! Dépêche-toi ! » (p. 10). Les temps des verbes diffèrent ici puisqu’il s’agit de présent de l’indicatif à valeur d’énonciation ou de présent de l’impératif qui a cette même valeur.
On assiste donc à un mélange de narration/récit et énonciation/parole.
On remarque aussi qu’Alice fait des incises narratives, des commentaires autour des paroles des autres un peu comme un récitant. « Aurait pu dire mon père » (p. 9), « elle faisait des signes, bras en l’air, » (p. 10).
On demandera aux élèves de lire attentivement la pièce en entier pour en dégager une structure temporelle.
Ils verront rapidement que la pièce est construite sur une boucle : le moment 8 étant l’explication et l’ouverture (paradoxalement à la fin) du récit. Entre le moment 7 et le moment 8, il y a donc une ellipse narrative de plusieurs années. On retrouve Alice adulte : « J’ai un peu plus de trente ans » (p. 59). Le récit se lit alors pleinement comme un récit autobiographique avec sa double temporalité ; celle de l’écriture ou de l’énonciation (ici de la parole au présent et passé composé) et celle du souvenir ou de la narration (ici les 7 moments précédents racontés au passé simple/imparfait).
Question que l’on peut poser aux élèves : Qu’apporte au récit que ce ne soit qu’à la fin de la pièce que l’on ait l’explication d’Alice ?
Il y a un effet de retardement et de boucle rétroactive. La pièce s’éclaire alors d’un autre sens. Effet de récit à chute.
À ce titre on fera aussi noter aux élèves qu’Alice explique le titre, énigmatique jusque-là :
« Je m’appelle Alice, Alice pour le moment.
Parce qu’il fallait bien décider d’un prénom à notre arrivée ici. » (p. 57)
On fera aussi noter aux élèves que la réplique « Je suis une Alice dans une ville » prononcée p. 59 renvoie à la note qui suit la liste des personnages en début d’ouvrage et qui explique le projet dans lequel s’est inscrit ce texte : « Mon Alice en ville ».
Ainsi passe-t-on d’une caractérisation du personnage par le temps à une caractérisation par l’espace.
Exercice par groupe : relever entre la partie 1 et la partie 8 tous les éléments qui se font écho, qui résonnent entre eux et qui renforce la notion de boucle, de cercle du texte.
Lors de cet exercice, on pourra relever :
> LES PARALLÉLISMES :
La présence de la marche, du trottoir : « je marchais. » (p. 7), « … sur le bord en granit du trottoir… » (P. 9)/« j’ai appris à marcher sur un trottoir qui n’était pas mon trottoir. » (p. 57).
L’évocation du provisoire : « Et notre maison n’était que provisoire. » (p. 7)/« Mes papiers [...] Comme mes amis [...] Comme mes maisons [...] Comme mes amours [...] N’étaient que provisoires. » (p. 57)
> LA REPRISE :
« Je marchais. Je marchais dans le sens inverse au sens du matin Je marchais sur le chemin. » (p. 7) |
« Je marche. Dans le sens inverse au sens du matin. [...] Je marche sur le chemin. » (p. 57) |
On notera le changement de temps verbal : imparfait > présent
/ souvenirs > temps de l’énonciation.
> L’INVERSION, LE CHIASME :
« LA MÈRE.- Alice ! Alice ! Dépêche-toi ! » (p. 10) | « DEUX ENFANTS.- Maman ! » (p. 57) |
Il y a la même progression crescendo :
neutre | « LA MÈRE.- Alice ! Alice ! Plus vite ! Dépêche-toi ! » | « DEUX ENFANTS.- Maman ! Vite ! » |
+ | « LA MÈRE.- Alice ! Vite ! Presse ! Vite ! Vite ma chérie ! » (p. 11) | « DEUX ENFANTS.- Maman ! Plus vite ! Maman ! » |
++ | ... | « DEUX ENFANTS.- Maman ! Dépêche-toi ! Vite ! Maman ! » (p. 58) |
C’est cependant toujours Alice qui est interpellée dans les deux cas. Elle a juste changé de statut : de la fille, elle est devenue mère.
Ainsi on fera donc prendre conscience aux élèves, à travers tous ces questionnements et ces repérages, de la forme très kaléidoscopique du récit.