Comment ce texte fonctionne-t-il en tant qu’objet théâtral ?
Demander aux élèves d’observer le texte dans sa totalité et de noter/relever tout ce qui les surprend, tout ce qu’ils voient, tout ce qui les étonne ou non.
C’est l’occasion de (re)préciser le vocabulaire technique du théâtre et de définir le genre théâtral.
Deux grandes typologies se dessinent : les élèves repèrent très vite des blocs d’écritures différentes :
On peut ensuite examiner quelle est la répartition entre didascalie et dialogue/texte des conteurs. On peut s’interroger sur le parti pris de l’auteur qui accorde une telle place à la didascalie et à la présence de conteurs alors qu’on lit/est au théâtre.
Elle se découpe en trois fragments.
Dans les trois premières phrases, l’auteur pose la situation de départ, ce par quoi tout commence. Il présente un plongeoir, objet qu’il qualifie de « magnifique », lexique valorisant. Il ne se passe rien. C’est la nuit « obscurité ». Un contraste est précisé : blanc contre noir. La pièce commence sur la vue de cet objet, tout est silencieux.
Cette didascalie de régie est destinée au scénographe, ce que les élèves doivent percevoir eux-mêmes.
Cette tranquillité est très vite perturbée par un événement : il surgit une voix. Cette voix a le caractère anonyme, indéterminé de celui qui prend la parole et lance ainsi l’action en brisant le silence. Cette didascalie apporte une information au lecteur/spectateur. « La voix instruit ». C’est sa fonction : est-ce la fonction du théâtre ? Est-ce une volonté didactique de l’auteur ? On se trouve face à un instant solennel dû à la composition nominale de la phrase : un seul mot mis en valeur par une ponctuation forte, « définition »
« Et toujours très près du dictionnaire afin que la chose étalée sur le papier soit au plus près de ma pensée. Non : exactement ma pensée ! Remplacer un mot par un synonyme n’est pas une solution. C’est la manière de repenser la phrase entière qu’il faut revoir. Tout cela est une danse, faut que ça danse, que ça danse. »
Jean Cagnard, Itinéraire d’auteur (extrait)
L’auteur évoque le recours systématique au dictionnaire dans sa pratique d’écriture.
Cette voix énonce une définition, celle de l’objet que le spectateur a sous les yeux. Tout savoir passe/débute par la définition : l’auteur nous donne accès à l’information. Cette information se veut citation du dictionnaire. Cette définition est présentée sérieusement. Très vite cependant, le spectateur/lecteur prend conscience que cette définition ne peut pas figurer dans un dictionnaire sérieux. Sans pour autant être fausse, cette définition dévie de sa trajectoire et porte un jugement de valeur : lexique valorisant (« grand », « fantastique »). On perd l’objectivité spécifique du dictionnaire. Le plongeoir est un tremplin qui permet de prendre de l’élan pour plonger dans l’eau ou le vide. Après cette élévation vers le ciel, on attend la descente, inéluctable. La chute est attendue. Or, ce tremplin n’est pas comme les autres, il envoie le lecteur/spectateur dans les nuées : envol. Cet écart est à noter : il témoigne du rapport de l’auteur à l’écriture, au monde et à son humour. Un premier chemin se dessine : nous sommes en route pour le ciel, nous quittons la terre et son phénomène d’attraction. En route pour la poésie, l’imaginaire, le rêve, comme l’auteur le souligne.
« Je compare souvent l’écriture à un cerf-volant, qui a besoin pour exister dans le ciel d’être relié à la terre. Si on coupe ce lien, la navigation est rompue et, avec elle, le poste d’observation, la vision. Il y a un rapport terre-ciel dans l’écriture, une tension qui associe le concret et l’imaginaire. Si une chose existe en bas, je peux alors m’en emparer et la rendre croyable en haut, littérairement. »
Jean Cagnard, Itinéraire d’auteur (extrait, page 18)
Piste intéressante aussi car elle rejoint et confirme les hypothèses de lecture à partir du titre. Le ciel et l’envol peuvent être retenus comme des thèmes importants de la pièce, en tout cas, en ce début de pièce.
Le contenu de la didascalie change : elle annonce un changement de situation.
Le Soleil entre en scène grâce à un verbe d’action au présent de l’indicatif ce qui crée un effet de réel. Suit une série d’actions juxtaposées accomplies par le Soleil. Il est personnifié, l’auteur utilise une périphrase « nageur d’étoiles », clin d’œil à l’exploit sportif de cette étoile qui utilise le tremplin comme un dieu. On voit poindre l’humour de l’auteur lorsqu’il parle de l’astre : « qui connaît son affaire », « pour le plaisir… ».
On peut noter le caractère poétique de l’écriture et faire relever aux élèves les comparaisons, les allitérations, le rythme des phrases.
Cette partie de la didascalie est un passage qui rapporte les actions du Soleil, personnage pour le moins inattendu au théâtre. Les élèves peuvent retourner aux hypothèses élaborées dès le premier contact avec l’œuvre et vérifier l’effet de surprise ou non. L’auteur utilise un récit au présent de l’indicatif. Lui-même inscrit sa présence dans le texte didascalique en variant les niveaux de langue : « que nous lui connaissons », « le Soleil qui connaît son affaire », « allez, tiens… ». L’auteur procédera de la même manière dans les autres parties : il n’hésite pas à utiliser le pronom « on » ou « nous ». À qui s’adresse l’auteur ? On peut alors dessiner les premières pistes de la situation d’énonciation.
L’écriture tend à devenir romanesque. Elle envahit le texte dramatique laissant moins de place à l’échange proprement dit. Le texte se prévaut d’un usage contemporain de la didascalie (épicisation). Ce travail doit être réalisé en préparation des exercices de mise en voix et de mise en espace. Cette forme et cette matérialité du texte sont porteuses de sens que le travail de la voix et la pratique du plateau peuvent dévoiler.
La seconde partie de la didascalie reprend le même déroulement à propos d’un second personnage, la Lune. Et s’installe la répétition de la même scène et donc de la nature et de la forme de la didascalie presque à l’identique.
On peut demander aux élèves de rédiger une synthèse sur ce qu’ils ont découvert, compris, découvert lors de cette première lecture.
Quelle est la situation de départ ? Quel est le cadre spatio-temporel ? Qui prend en charge l’énonciation ? Quelle est l’action ?
Cette première partie sera reprise dans la partie mise en jeu : on abordera avec les élèves le passage à la scène de ce texte singulier : comment représenter au théâtre ce texte didascalique ? Doit-il être énoncé ? Par qui ? Doit-il être joué ? Par qui ?
On peut commencer l’étude de cette première partie en relisant la synthèse écrite précédemment : on demande alors aux élèves ce qu’ils sont en droit d’attendre, après cette introduction en ce qui concerne les personnages, l’action, l’intrigue et les thèmes abordés dans la suite de l’œuvre. Ils peuvent reprendre les scénarios établis au début de ce parcours et rectifier ou compléter leurs hypothèses. Puis ils peuvent poursuivre cette réflexion en étudiant le titre de la première partie, titre qui fournit une indication importante « pays Paupières ».
Un questionnement sur ce que peut être ce pays est lancé : à quel moment soulève-t-on les paupières ? À quel moment ouvre-t-on ou ferme-t-on les yeux ? Dans quel endroit ouvre-t-on les yeux ? Pour quelles raisons ? Comment imaginez–vous ce pays ? Pourquoi l’avoir nommé ainsi ? Est-ce un endroit intime ? Quel rapport peut se tisser entre l’introduction et ce titre pour la suite de l’œuvre ?
On s’attend avant toute chose à voir entrer en scène le personnage principal et à avoir la confirmation qu’il est l’astre du jour ou de la nuit. On peut penser que le cycle jour/nuit, avec les sauts du plongeoir de la lune et du soleil, sera le cadre spatio-temporel de l’histoire et influencera les actions, la vie du personnage principal. On peut s’attendre à ce que ce cycle infini s’enraye (raté du soleil qui se casse la figure…) et que cela provoque une catastrophe sur le personnage principal.
D’autre part, le lien à établir entre le titre et l’introduction est très simple : lorsque le soleil se lève, les hommes en principe se réveillent, ouvrent leurs yeux et débutent leur journée. Cet endroit mystérieux où est situé le plongeoir, serait-ce le pays du soleil levant ? Comment le localiser ? Cette partie commence sous le signe du regard qui s’ouvre au monde, qui s’ouvre sur le monde, c’est l’éveil qui permet une perception sensible du monde.
Parcourons ensuite cette première partie dans sa totalité pour réaliser un repérage de l’ensemble de la structure de cette partie et mettre en évidence les deux couches de texte. Les élèves savent repérer les deux typologies du texte : l’écriture didascalique et les répliques (dialogue, échange entre les deux personnages et les paroles des conteurs).
Structure :
On peut demander aux élèves d’observer l’équilibre d’ensemble entre ces trois « prises de paroles » : qui « parle » le plus ? Qui parle le moins ? Quelles conclusions peut-on tirer de cette observation ?
La première partie se compose de trois voix différentes : celle de l’auteur avec les didascalies, celle des conteurs, plus poétique, et celle des personnages. La répartition (distribution de la parole) apparaît équilibrée (par rapport à l’introduction). On peut demander aux élèves de survoler rapidement la pièce et de repérer si cet équilibre est réalisé dans le reste de l’ouvrage : ils remarqueront que certaines parties (3 et 4) ne comportent pas de dialogue alors qu’ils lisent un texte de théâtre (voir l’évolution de la définition du mot au fil des esthétiques) tandis que d’autres sont « envahies » de didascalies. Cela nous renvoie aux écritures contemporaines assez différentes des textes classiques où les didascalies sont très rares.
Quelques questions émergent :
Pourquoi l’auteur est-il aussi présent dans son texte ? Pourquoi n’utilise pas le dialogue, spécificité du genre théâtral ? Faut-il dire ces indications sur scène ou les jouer ?
Quelles sont les informations apportées par ces didascalies ? Sont-elles différentes de celle présente dans l’introduction ? À qui l’auteur s’adresse-t-il ?
On pourrait demander aux élèves, au fur et à mesure de l’étude de ce texte de constituer un tableau qui permettrait de classer les didascalies en fonction de leur rôle avec : Nom de personnage qui parle, Indication de gestes ou de déplacements des personnages, Indication des bruits, Indication du ton, du rythme des échanges, des répliques, Indication du destinataire de la réplique, Indications concernant les accessoires, le décor, Indications sur la conscience des personnages, l’attitude… Ce tableau sera utilisé lors du passage au plateau (jeu des personnages, placements et déplacements).
Ces indications constituent un encadrement important dans ce texte : les didascalies sont presque aussi importantes que les dialogues. Cela nous rappelle que les pièces sont écrites pour être lues aussi bien que pour être jouées. Cela installe également un équilibre entre le texte et les autres éléments de la représentation théâtrale, se rapprochant ainsi du scénario de cinéma.
La première didascalie donne des indices concernant la situation d’énonciation dans laquelle se retrouvent les deux conteurs : elle est destinée aux comédiens et au metteur en scène, c’est une didascalie de régie.
On peut interroger les élèves sur le premier mot qui ouvre la scène : « noir ». Pourquoi l’auteur débute–t-il la scène ainsi ? Quelle est l’importance de cette indication de couleur ? Cela sous-entend-il une rupture avec ce qui précède ? Ce mot renvoie-t-il à une convention théâtrale et à une pratique scénique ?
Puis vient la tirade des conteurs : ce sont les conteurs qui prennent la parole en premier puis ce sont eux qui terminent la partie. Est-ce aussi toujours le cas dans la suite ? Quel est l’intérêt de ce parti pris ?
On peut s’interroger sur la présence de conteurs dans ce texte théâtral ?
On peut demander aux élèves de procéder à un relevé précis en ce qui concerne la situation de départ.
À établir avec :
Puis on peut leur demander de repérer ce qui modifie cette situation et de relever les informations et les thèmes abordés.
Très vite, les élèves vont établir les éléments communs entre l’introduction et la partie 1 :
On peut alors demander aux élèves d’en déduire les différences en ce qui concerne l’évolution de la fable. En effet, ce qui se passe est identique, on assiste au lever du soleil, à la naissance du jour, mais le point de vue se modifie. Ce n’est plus l’auteur tout puissant qui voit et dit le monde : le relais est pris par les conteurs qui vivent cet instant. Le point de vue, la focale, l’échelle changent.
Se dessine alors une parole incarnée : le relevé des pronoms montre que l’on passe du « on » troisième personne indéfinie à « me », « moi » première personne définie. Les conteurs (ils sont deux à se partager la parole formant un duo et non un duel) s’adressent alors directement au soleil « Salut Majesté ». L’adresse change et se complexifie.
On assiste aussi à la naissance des sensations : « on ne voit rien », « on n’entend pas », « on ne sent rien ». Trois négations qui concernent l’ouïe, la vue, l’odorat et le toucher. Ces sens font directement référence au spectacle vivant.
Il y a un bonheur inhérent au fait d’être réveillé par le soleil : les élèves procèdent au relevé du vocabulaire laudatif.
À ce stade de lecture et d’appréhension de la pièce, on pourrait demander aux élèves de reprendre leurs esquisses de paysage et de décor réalisés au début de ce carnet. Ils pourraient proposer l’espace scénique définitif en tenant compte de l’analyse précédente.
En sujet d’écriture, on pourrait faire écrire aux élèves leur réveil : les quelques minutes qui précèdent l’ouverture des yeux. Ils pourraient donner quelques sensations et parler de leurs émotions. Qui ou quoi les réveille ? Et comment ?