éditions Théâtrales Jeunesse

Livère

de Stéphane Jaubertie

Carnet artistique et pédagogique

1. Autour du titre

L’écriture de Stéphane Jaubertie structure un univers poétique qui se joue des mots et des sonorités. Les thématiques abordées, les personnages et les situations sont très contemporains et concrets. Ce subtile mélange entraîne le lecteur dans une sorte de conte mi-réaliste mi-allégorique aux allures initiatiques ne manquant ni d’humour ni d’ironie.
Pour aider les jeunes lecteurs à entrer dans la lecture de ce texte théâtral, on gagnera à construire leur horizon d’attente tout en éveillant leur curiosité et en échangeant autour du texte.

On peut commencer par un brainstorming en inscrivant un mot par élève (pour commencer) au tableau autour des questions suivantes :

  • Qu’imagine-t-on quand on lit le titre ?
  • De quoi le texte pourrait-il parler ?

On peut en profiter ici pour faire un point sur la fonction de l’auteur et le métier de dramaturge (et pourquoi pas d’autres métiers du théâtre connus par les élèves). Sachant que Stéphane Jaubertie est un auteur contemporain, on peut faire un quiz sur les auteurs de théâtre connus par les élèves, en se demandant s’ils sont ou non « contemporains », ce que ce terme veut dire et ce que l’on s’attend ou pas à trouver dans leur écriture (vocabulaire, situations ou encore références)

Livère est le prénom d’un des personnages principaux de la pièce. L’auteur joue avec la sonorité du mot « l’hiver » pour en faire un prénom. On peut alors faire des suppositions :

  • Pourquoi l’auteur a-t-il nommé ainsi ce personnage ?
  • Quels pourraient être les principaux traits de caractère de ce personnage ?

La page 2 du livre nous donne des indications sur les autres œuvres de l’auteur et dans cette liste nous pouvons remarquer Létée et faire des hypothèses sur ce titre, parallèlement à celui de Livère.

On peut exploiter les autres informations que nous offre cette page 2 :

  • Dans quelle collection la pièce Livère est-elle éditée et à qui semble s’adresser cette collection ?
  • Repérer les années d’édition (pour revenir sur la littérature contemporaine).

2. Première approche

Juste avant de lancer les élèves dans une lecture partielle ou complète de l’œuvre, on peut créer une première rencontre avec celle-ci.

  • Lire aux élèves la partie « résumé » de la quatrième de couverture.

    Il n’est pas inutile de bien faire noter que ces lignes de présentation ne sont pas écrites par l’auteur mais par l’éditeur.

  • Faire lire la première scène (pages 7 et 8) puis la deuxième (pages 9 et 10). On peut faire lire par deux élèves ou quatre élèves.

    La première scène a un statut particulier. Elle se présente comme un préambule mais se révèle chronologiquement postérieure à la première rencontre de Moi et Livère, postérieure donc à la deuxième scène.

    À l’écoute de ces deux scènes et après avoir entendu le résumé, les élèves pourront entrer plus finement dans la compréhension de l’histoire et apprivoiser le style d’écriture de l’auteur. On peut accompagner cette prise de possession du texte en posant quelques questions et en cherchant à faire justifier les réponses. Par exemple :

  • Quel est le statut du personnage appelé Moi ? Selon vous, pourquoi l’auteur l’a-t-il nommé ainsi ?
  • Comment pourrait-on définir les rapports entre les deux personnages ? Qui sont-ils l’un pour l’autre ?
  • Quelles contradictions peut-on relever dans le discours de Moi ?
  • À quoi semble aspirer Livère ? Que peut représenter l’extérieur, la neige pour elle ?

3. Autour des thématiques

À la page 59, Stéphane Jaubertie nous livre un texte, Livère et Moi, qui déroule la fable de cette pièce. Prendre connaissance de ce texte en amont de la lecture intégrale de la pièce peut aider à en poser la situation et les enjeux.
Avant ou après la lecture intégrale de l’œuvre, dans le cadre de l’enseignement moral et civique (EMC), pour le cycle 4 par exemple, ce texte Livère et Moi (et les dernières phrases en particulier) peut ouvrir sur un débat en classe autour des notions d’altérité et de fraternité.

On peut questionner par exemple le sens des termes de fratrie et fraternité. Sachant que la fraternité est un principe, une valeur, comment définiriez-vous la fratrie ? Sommes-nous automatiquement fraternels si nous sommes du même sang, de la même fratrie ? N’oublions pas que Moi et Livère ne font pas le choix de cette fratrie d’occasion.

Stéphane Jaubertie écrit :

« On n’en deviendra pas frère et sœur pour autant.
On ne deviendra pas amoureux pour autant.
On deviendra juste un peu plus. »

Si nous questionnons ce « juste un peu plus », n’est-ce pas la possibilité de fraterniser dès lors qu’il y a dissemblance et singularité ?

On peut également aborder la thématique des relations familiales lors d’un débat :

  • Questionner avec les élèves plus âgés les représentations de la cellule familiale qui évoluent et la place de l’enfant dans la société suivant les époques (à travers l’art, la littérature et l’histoire).
  • On pourra en aval de la lecture intégrale de l’œuvre, avec l’aide du professeur documentaliste (pour mettre en place un EPI par exemple), faire des recherches sur ces mêmes notions et, compte tenu de l’accueil réservé au personnage Livère à son arrivée chez Moi, faire des recherches en collège sur le droit des enfants (Convention internationale des droits de l’enfant, Le Défenseur des droits) ou avec des lycéens (Éducation civique juridique et sociale) sur les associations et institutions d’aide à la famille et à l’enfance (Centre Français de Protection de l’Enfance, Fondation pour l’enfance, Aide Sociale à l’Enfance…). Quel est leur rôle ? Quelles sont leurs actions ?
  • Pour préparer un débat argumenté, différencier ce qui relève de la maltraitance, de la négligence ou du conflit familial. L’abandon affectif de Livère ou de Moi, est-ce de la maltraitance psychologique ou une défaillance dans le rôle des parents ? Les rôles de parents et d’enfants, sont-ils correctement pris en charge par les protagonistes ? On peut pour ouvrir le débat s’appuyer sur certaines phrases des premières scènes, par exemple :

L’homme de ma mère, il le trouvera ailleurs, le sens de sa vie. Ma mère, elle, finira en morceaux. Comme toujours. Au fond du sac. Et moi, je m’attacherai à la recoller. Jusqu’au jour où l’irremplaçable sera remplacé. L’amour sera de retour. Comme toujours. Ma mère aura quinze ans, et ne vivra que pour l’homme nouveau (p. 11 et 12).

Voix de la mère.- [...] De toute façon, on n’a pas le choix. Faudra faire avec Livère. (p. 12)
Voix de Livère.- Qu’est-ce qu’il y a ? Tu me frappes pas ? T’as plus envie ? (p. 18)

  • Pages 50 et 51, relever le conte dans le conte, le récit dans le récit. Tenter de donner une interprétation de cette histoire. Que veut dire Moi à Livère ? Faut-il pour faire sa vie, recouvrir sa généalogie d’une page blanche comme la neige, sans traces ?

Après la lecture intégrale du texte, on peut faire un brainstorming des thèmes qui le traversent. Chacun des élèves énonce le thème qui lui semble le plus important et on le note au tableau. On peut en profiter pour étendre et nuancer au maximum les termes proposés, donc le vocabulaire. De quoi nous parle cette pièce ? De solitude, de mal-être, de jeux dangereux, de fugue, de quête d’identité… mais aussi de famille recomposée et de relations interfamiliales.

On peut également faire relever dans le texte tout ce qui peut exprimer :

  • Le conflit familial (par exemple p. 46 : « dans toutes les familles on cache des couteaux »).
  • La construction de soi (par exemple p. 36 : « le seul arbre à abattre, c’est l’arbre généalogique »).
  • La difficulté de communication (par exemple p. 35 : « je comprends rien à ce que tu es »).
  • Ou le thème que l’élève aura mentionné, pour en formuler une appréciation personnelle et qu’il devra justifier par un relevé de phrase.

Du côté des contes

Pour les 6e mais aussi pour les classes étudiant l’intertextualité, la variation ou la transposition.

Peut-on qualifier Livère de conte contemporain ? Quelles en sont les similitudes ? On y trouve l’importance des relations dans la construction de l’identité, une indétermination historique et/ou un lieu fictif, une interpellation du lecteur, des personnages-types.

On peut faire confronter Livère à d’autres contes en ce qui concerne la fonction des personnages, la fin heureuse, les formules d’ouverture et de clôture dans les passages des récits de Moi (pages 9 et 54), l’évolution des deux personnages principaux entre la première scène et la dernière lettre de Livère par exemple.

Voici quelques pistes pour une analyse des représentations familiales dans les contes et récits mythologiques :

  • À quel conte la situation du personnage de Livère au début de la pièce fait-elle penser ?
    En dehors de Cendrillon, y a-t-il d’autres contes mettant en jeu des conflits avec les marâtres ou parâtres ? (Blanche Neige, Hansel et Gretel…)
  • Mettre en parallèle avec d’autres contes qui en dehors de la filiation relèvent de la quête de soi, de l’autonomie. Un conte comme Le Vilain Petit Canard dont le personnage principal part pour trouver ailleurs l’amour et/ou l’amitié, peut trouver ici un écho.
  • Dans un corpus, mettre en parallèle ce texte dramatique et d’autres ouvrages contemporains de littérature pour la jeunesse qui, pour la majorité d’entre eux, présentent la famille recomposée, les marâtres et parâtres, sous un jour favorable.

Du côté des émotions, des métaphores et des symboles

En pleine quête d’identité, livrée à elle-même, Livère se révèle fragile.

  • Que peuvent symboliser pour elle les couteaux qu’elle fabrique ? Le train ?
  • Pourquoi se met-elle en situation de danger ?
  • Que nous raconte la scène p. 45 de la vie de Livère ? Que cherche à tuer cette dernière ? Cherche-t-elle des compensations dangereuses ?
  • On peut discuter et commenter la lettre que Livère écrit et envoie à Moi (page 56) et mesurer la progression de son état d’esprit et des relations de ces deux personnages entre la première scène et cette dernière lettre.
  • Si l’on veut utiliser d’autres formats comme vecteur de discussion et de débat en classe sur l’apprentissage de la vie et la relation aux autres pour des jeunes en difficulté affective, on peut faire un parallèle avec le film d’animation Ma vie de Courgette.

4. Approches visuelles

Dans un travail interdisciplinaire en français, Livère peut faire partie d’un corpus et enrichir la problématique du faisceau 2 « Peut-on peindre un caractère ? » questionnement « Se raconter, se représenter », niveau 3e.

  • Travailler sur le portrait d’une personne fictive. Faire le portrait de Livère. Pour cela, définir et utiliser les matières ou les couleurs insufflées, évoquées et les éléments donnés par le texte sur ce personnage.
  • Réaliser une affiche. Quels sont les éléments que l’on choisit de mettre en avant ? Un ou des personnages ? Une représentation symbolique du thème principal ou ce à quoi aspire un personnage ?
    Ce travail peut être complémenté par de la lecture d’image en cours de français, en prenant comme exemple les affiches de certaines représentations de Livère, présentes dans la partie Créations de Livère.
  • En travaillant sur l’objet et les symboles : que symbolisent pour Livère les couteaux qu’elle fabrique ? Dessiner le tatouage dont Livère pourrait rêver.

5. Pour une approche interdisciplinaire

On peut travailler autour de la complexité de l’espace scénique posée par ce texte et plus largement sur la mise en jeu du texte théâtral.

On veillera tout d’abord à faire acquérir aux élèves des notions de ce que recouvrent les termes de mise en scène (des grandes transformations du rôle de metteur en scène dans l’histoire du théâtre) et de scénographie. Ce qui inclut l’approche de différents métiers, tels : décorateur, éclairagiste, costumier et l’apprentissage d’un petit lexique adapté des termes scéniques employés au théâtre.

À partir de la lecture de Livère et de son analyse faite en classe, les élèves, par groupes, auront en charge de réaliser un dessin ou une maquette pour envisager un espace scénique « comme si » ce pouvait être l’espace scénique de représentations futures de Livère (les élèves pourront s’inspirer des éléments présents dans le carnet artistique). On peut prendre pour cadre la scène d’un vrai théâtre (soit connu par les élèves si ce travail s’inscrit dans un parcours qui les aura menés au théâtre, soit à partir de plans ou photos de scènes de théâtre).

Ce travail posera des questions sur l’espace de jeu, ce que l’on donne à voir, l’espace dans lequel les comédiens pourraient évoluer : où cela se passe-t-il ? Dans quel univers de référence, quelle esthétique ? Argumenter les choix en prélevant des informations dans le texte et en encourageant les références, transpositions, symbolisations pour essayer de dépasser le simple cadre du réalisme.

Cette pièce développe l’imaginaire des élèves car elle propose très peu de didascalies de régie et de références spatio-temporelles et qu’elle pose également de nombreuses questions sur le champ et le hors-champ : où se jouent les scènes qui mettent en jeu les voix du père, de la mère, de Livère ? Que donner à voir, à cacher, comment et pourquoi ? Que nous raconte l’espace visuel ? Interroger ce processus de création dans son rapport créateur/spectateur.

On demandera aux élèves d’imaginer un espace unique avec quelques accessoires modulables. Pour ouvrir l’imaginaire, on pourra comparer les différences pratiques, les différences d’intention et de réception entre théâtre et cinéma du point de vue de l’espace, des décors, du symbolique, de l’abstraction.

Pour envisager la scénographie et les différentes directions qu’elle peut prendre, on peut, pour exemple, donner à lire l’extrait de la note de mise en scène présente dans la partie B. Créations de « Livère »