« Écrire une violence, mais pour la paix
qui a saveur d’eau pure. »
Yves Bonnefoy
Cette citation en exergue place d’emblée le texte sous le signe de la poésie (ce qui se retrouve d’ailleurs en ouverture de tous les textes de Jean-Pierre Cannet destinés au théâtre) une poésie à la tonalité contrastée : la réalité crue de la « violence » mais pour la quête de « la paix » s’exprimant, ne faisant qu’une, avec une poésie de l’innocence : « qui a saveur d’eau pure ». Quand on aura lu le texte, découvert l’importance du symbolisme attaché au Danube, on comprendra par ailleurs le caractère prophétique de ces mots sur l’eau et le titre étrange La Petite Danube.
Pour la dramaturgie, Jean-Pierre Cannet choisit la forme du théâtre–récit, consubstantielle à l’enjeu du texte : non pas rendre compte de l’horreur de l’holocauste mais dénoncer la responsabilité morale individuelle dans cette horreur. C’est donc Anna, jeune adulte accusatrice, qui va orienter le regard du spectateur sur le comportement de ses parents à travers son récit, hanté par les souvenirs de la petite Anna qu’elle fut, visionnaire dans son innocence clairvoyante. Anna qui raconte fait le lien et s’interpose entre le spectateur et la réalité, créant un effet de distanciation critique (voir épicisation, concept mis en valeur par Marie Bernanoce), d’autant plus efficace que les courtes scènes qu’elles convoquent sont des souvenirs porteurs de « la démesure de l’enfance, dans son évocation fantasque et son expressionnisme ». Un expressionnisme prosaïque tiré vers le grotesque pour les discours rapportés des parents, un expressionnisme poétique, fantastique pour les visions d’Anna enfant.